Séminaire — De quoi la critique est-elle le nom ? / 2011-2012

PROGRAMME

L’approche critique n’a pas toujours bonne presse et les lieux du culte académique se prêtent à son encontre, parfois avec un plaisir non dissimulé, au jeu des anathèmes et des excommunications. Ce qui la rend plus particulièrement urticante c’est sans doute qu’elle fait sienne la nécessité d’un travail du négatif, engagé et dénonciateur, qui s’inscrit dans une culture du dévoilement, de la résistance et du changement social à des fins émancipatoires. Cette solidarité de principe avec le progrès social entendu comme une lutte contre les diverses formes de domination se couple par ailleurs à d’autres formes d’exigence. En premier lieu, à celle d’une double réflexivité. La critique est une première fois réflexive en ce qu’elle introduit dans sa conceptualisation la dénonciation des formes de domination qui s’exercent sur les sujets, mais aussi éventuellement, les formes de critiques ordinaires que ces derniers peuvent en faire. Attentive à la dimension symbolique et subjective de la domination, mais aussi du fait scientifique, l’approche critique s’interroge également sur la manière dont elle choisit ses objets et dont elle met en ordre les faits qu’elle étudie. Elle s’efforce ainsi d’expliquer la façon dont le chercheur « se fait des idées », la manière dont il choisit ses objectifs de recherche, s’interroge sur « les raisons pour lesquelles il pense précisément cela et non autre chose, pour lesquelles il s’occupe avec passion de telle chose et non de telle autre » (Horkheimer, 2009, p. 329). En cela, elle tend à démystifier le principe de neutralité axiologique. Car celui-ci oppose artificiellement scolarship et commitment et présente tous les atours d’une idéologie professionnelle qui serait celle de chercheurs qui se pensent « sans attaches ni racines ». La nécessité de la critique est également celle d’un « matérialisme scientifique » fondé sur un principe empirico-théorique qui tient le chercheur à égale distance des affres de l’empirisme sans concept et du théoricisme faisant l’économie de l’administration de la preuve. C’est aussi celle du refus de l’hyperspécialisation et de la lutte contre la dispersion des sciences sociales et humaines afin de se donner toutes les armes possibles pour comprendre des faits sociaux particulièrement problématiques. C’est enfin une rupture avec une certaine forme de positivisme scientifique. La raison n’est pas un principe métaphysique et la pensée critique ne se constitue elle-même que sur fond d’une « méfiance totale à l’égard des normes de conduite que la vie sociale, telle qu’elle est organisée, fournit à l’individu » (Horkheimer, 1974 : 8). L’effort à produire tient donc à la compréhension et à la dissolution des dimensions illusoires, injustes et aliénantes des existences des agents sociaux.

L’ambition de ce séminaire n’est pas d’établir un catalogue systématique des nécessités et des vertus de la critique, mais d’en discuter quelques-uns de ses aspects parmi les plus importants et notamment ceux envisagés par certains chercheurs comme susceptibles de justifier la proscription de la critique du champ des sciences humaines et sociales. Par-delà le picaresque académique, les liturgies et le gai savoir qui accompagnent les pathologies sociales de l’homo academicus aux prises avec la démarche critique, nous souhaiterions revenir sur ses principaux attendus et en défendre l’heuristique à la fois scientifique et sociale. Pour ce faire, chacune des sept séances du séminaire sera structurée en trois parties : une présentation de la thématique, suivie par une conférence et un débat. L’objectif est ainsi de revenir sur les grands principes épistémologiques (réflexivité, engagement, dialectique), ainsi que sur quelques-uns des thèmes centraux de la pensée critique (injustice, illusion, aliénation).

Séance 1 – Razmik KEUCHEYAN : Qu’est-ce qu’une pensée critique ?

Bien… donc s’agissant de cette séance introductive, il nous a semblé tout à fait opportun d’inviter Razmig KEUCHEYAN. Razmig est maître de conférences en sociologie à l’université de Paris IV-Sorbonne, grand connaisseur du continent critique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, citons Le constructivisme. Des origines à nos jours publié chez Hermann en 2007 ; bien évidemment : Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, sorti à La Découverte en 2010, ouvrage particulièrement stimulant s’agissant des perspectives critiques contemporaines ; nous aurons également très prochainement la chance de pouvoir bénéficier d’une anthologie des Cahiers de prison d’Antonio Gramsci présentée par ses soins aux éditions La Fabrique.


Séance 2 – Sophie BÉROUD : Engagement et neutralité axiologique

Aujourd’hui nous nous retrouvons pour la deuxième séance du séminaire De quoi la critique est-elle le nom ?, séance qui aura pour thème l’engagement et la neutralité axiologique, et par rapport auquel il nous a semblé judicieux d’inviter Sophie BEROUD, notre conférencière du jour, qui nous fera bénéficier de ses lumières dans quelques instants. Sophie est Maître de conférences en science politique à l’université de Lyon-2. Elle est spécialiste du mouvement ouvrier, du syndicalisme et de l’action collective et a beaucoup publié sur ce thème. Citons quelques-uns de ses ouvrages : Le Souffle de décembre. Le Mouvement social de 1995 : continuités, singularités, portée, Avec René Mouriaux aux Éditions Syllepse en1997 ; Le Mouvement social en France. Essai de sociologie politique, avec René Mouriaux et Michel Vakaloulis à La Dispute en1998 ; Politiques du syndicalisme, perspectives françaises, aux éditions Textuel en 2008 ; La lutte continue ? Les conflits du travail dans la France contemporaine, avec Jean-Michel Denis, Guillaume Desage, Baptiste Giraud et Jérôme Pelisse aux Éditions du Croquant en 2008 ; Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ?, avec Paul Bouffartigue aux Éditions de la Dispute en 2009 ; Un petit dernier pour clore cette longue liste qui est loin d’être exhaustive : Engagements, rébellions et genre dans les quartiers populaires en Europe (1968-2005), avec Boris Gobille, Abdellali Hajjat, Michelle Zancarini-Fournel aux éditions des archives contemporaines en 2011.

 


Séance 3 – Gérard MAUGER : De la réflexivité

Gérard Mauger est Directeur de recherche, émérite au CNRS, membre du Centre de Sociologie Européenne, par ailleurs responsable d’un séminaire de l’ENS intitulé « L’enquête en sociologie : pour une pratique réflexive », thème qui nous intéresse ici au premier chef. Ses thèmes de recherche sont liés : à la contre-culture, aux styles de vie des jeunes des classes populaires, aux usages sociaux de la lecture, à l’engagement politique des intellectuels, à l’épistémologie des sciences sociales. Il a publié de très nombreux ouvrages sur ces différents sujets. Et si on ne peut évidemment pas tous les mentionner, citons en tout de même quelques-uns pour mémoire : Les bandes, le milieu et la bohème populaire : Etudes de sociologie de la déviance des jeunes des classes populaires (1975-2005) ; Histoires de lecteurs de Gérard Mauger, Claude Poliak et Bernard Pudal ; La sociologie de la délinquance juvénile (8 janvier 2009) ; L’émeute de novembre 2005 : Une révolte protopolitique (2007) ; L’année passée il a également traduit, préfacé, introduit et postfacé Le problème des générationsde Karl Mannheim (15 juin 2011).


Séance 4 – René MOURIAUX : De la dialectique

Comme le souligne Bertell Ollman : « Passer de la compréhension de la dialectique à sa mise en pratique n’est ni facile, ni évident, mais c’est un pas qu’il nous faut plus que jamais franchir ». Il ne fait aucun doute que René Mouriaux va nous aider à franchir ledit pas, celui qui rend possible l’action efficace, la transformation du monde et pas seulement son interprétation, et je souhaiterais donc lui céder la parole, en me permettant toutefois quelques minutes supplémentaires de verbe pour vous le présenter succinctement… René Mouriaux est politologue et historien, grand connaisseur du syndicalisme et du mouvement ouvrier. Il codirige la publication de L’année sociale et a publié de très nombreux et très intéressants ouvrages que l’on ne pourra évidemment tous citer, mais s’il ne faut qu’évoquer les plus récents, permettez-moi de citer : Le syndicalisme en France depuis 1945, Paris, La Découverte, 1994, 2e éd, 2004 ; Les crises du syndicalisme français, Paris, Montchrestien, coll. « Clefs », 1998 ; Le mouvement social en France (en coll. avec Sophie Béroud et Michel Vakaloulis), Paris, La Dispute, 1997 ; Le vote ouvrier, Regards sur l’actualité, n 287, janvier 2003 ; Le syndicalise au défi du XXIe siècle, Paris, Syllepse, 2008 ; et évidemment, celui qui nous rassemble ici aujourd’hui : La dialectique d’Héraclite à Marx (Paris, Syllepse, 2010) dont l’objet est de, je cite, « fournir [au lecteur] une initiation à l’histoire de la logique et de la dialectique. Connaître comment les hommes, dans une aire culturelle déterminée, d’Héraclite à Marx, ont établi les conditions de validité d’un raisonnement et cherché à déployé tout le dynamisme de la raison pour comprendre le mouvement d’une chose ainsi que celui des concepts » (p. 8).

 


Séance 5 – Roland PFEFFERKORN : Injustices et inégalités

Avant de laisser la parole à Roland Pfefferkorn, permettez-moi de la présenter. Roland est sociologue à l’Université de Strasbourg, spécialiste des différentes formes d’inégalités sociales et de leur caractère cumulatif, formant à proprement parler un système des inégalités dont il va évidemment nous entretenir. Il s’intéresse également à l’articulation des rapports sociaux de sexe et de classe et a publié plusieurs ouvrages majeurs sur la question. Nous aurons ainsi très bientôt le loisir de pouvoir prendre connaissance de Genre et rapports sociaux de sexe (Lausanne, Page deux, 2012), ainsi que d’un Dictionnaire des inégalités. Et nous pouvons d’ores et déjà beaucoup apprendre de la lecture d’autres ouvrages pour une part publiés en compagnie d’Alain Bihr : Le système des inégalités, Paris, La Découverte, 2008 ; Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes, (La Dispute, 2007). Ouvrage majeur sur la question ; Hommes-Femmes, quelle égalité ? (Editions de l’Atelier, 2002) ou encore : Déchiffrer les inégalités (Paris, Syros – La Découverte, 1999).

 


Séance 6 – Estelle FERRARESE : Pathologies et souffrances sociales

Estelle FERRARESE ne vient pas aujourd’hui en terre inconnue puisqu’elle a conduit ses travaux doctoraux en sciences politiques ici même, à l’université de Paris 8, sous la direction de Jean-Marie Vincent et aboutissant à un thèse intitulée Culture et espace public. Des constantes et inflexions de la théorie politique de Jürgen Habermas. Estelle Ferrarese est actuellement maître de conférences habilitée à l’université de Strasbourg, spécialiste de la pensée critique allemande et des ramifications de l’Ecole de Francfort, elle est l’auteure d’une introduction à Niklas Luhmann sortie chez Pocket en 2007 et d’un ouvrage intitulé Ethique et politique de l’espace public. Habermas et la discussion, qui devrait sortir chez Vrin, je crois à l’automne prochain.

Estelle est également une spécialiste de la pensée de Nancy Fraser puisqu’elle a traduit, préfacé et discuté aux éditions de La Découverte : Le mouvement du féminisme, qui sera dans les librairies cet été, et bien sûr : Repenser la justice sociale : de la redistribution à la reconnaissance ?, publié en 2005, également à La Découverte.

Alors, ce très beau palmarès éditorial est évidement à compléter des nombreux articles qu’Estelle a commis ces dix dernières années dans des revues de sciences sociales et de philosophie anglo-saxonnes et européennes, mais aussi des copieux chapitres écrits dans des ouvrages de référence. Citons par exemple et pour ce qui concerne seulement ses contributions en langue française, sa participation récente à Introduction à la théorie sociale contemporaine, ouvrage co-dirigé par Razmig Keucheyan que nous avions accueilli ici-même il y a quelques mois, mais aussi diverses contributions dans Sous les sciences sociales, le genre. Relectures critiques, de Max Weber à Michel Foucault (La Découverte, 2010) ; La reconnaissance aujourd’hui (CNRS, 2009) ; La reconnaissance à l’épreuve. Explorations socio-anthropologiques (Presses Universitaires du Septentrion, 2008) ; ou encore dans Habermas/Foucault, parcours croisés, confrontations critiques (CNRS, 2006).

 


Séance 7 – Olivier VOIROL : De l’idéologie

Aujourd’hui nous accueillons Olivier VOIROL qui va aborder, de front, le thème de cette séance en nous éclairant sur la notion d’idéologie comme concept critique. Je suis particulièrement ravi d’accueillir Olivier aujourd’hui, d’une part parce que nous sommes amis et que les occasions de nous voir ne sont pas si fréquentes ; d’autre part, parce que cette conférence s’annonce en quelque sorte comme le préambule d’un séjour plus long qu’Olivier fera à l’automne, à l’université de Paris 8, en tant que professeur invité. Evidemment, nous ne manquerons pas de vous le rappeler et de vous avertir des diverses conférences qu’il donnera à cette occasion ; enfin, parce qu’Olivier VOIROL est un parfait connaisseur de la pensée critique et plus spécifiquement de la Théorie Critique, c’est-à-dire des élaborations théoriques émanant de l’école de Francfort, qu’elles soient d’ailleurs contemporaines ou plus anciennes. Olivier est actuellement enseignant à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Lausanne et chercheur en sociologie et philosophie au sein de l’Institut de recherche sociale de Francfort. Il a notamment traduit en français et préfacé Axel Honneth, il est l’auteur de nombreux et brillants articles sur la Théorie critique et plus particulièrement sur la théorie de la reconnaissance et ses extensions thématiques. Je signale notamment trois numéros de la revue Réseaux qu’il a dirigés : l’un sur le thème Revisiter Adorno (2011), l’autre qui porte sur le concept de Médiations et qui est un hommage à Paul Beaud (2008), le troisième sur la thématique de la visibilité (2006) qui sont tous les trois particulièrement intéressants. Olivier est également directeur de la collection « Théorie Critique » aux éditions La Découverte où il a déjà publié Axel Honneth, Siegfried Kracauer, Franck Fischbach et Hartmut Rosa.