Séminaire – Politiques du conflit au XXIème siècle / 2017-2018

PROGRAMME

Séance 1 – Laurent JEANPIERRE : Ce que nous apprennent les révolutions et les crises politiques au Maghreb/Machrek

INTRODUCTION FG : J’aimerais commencer par dire deux mots du séminaire qui nous réunit aujourd’hui et dont l’intitulé est, comme vous le savez, Politiques du conflit au XXIème siècle. Ce séminaire est un prolongement de la journée d’études Penser les/des mouvements sociaux, que nous avions organisée en février dernier avec Pascal Nicolas-Le Strat dans le cadre de l’École doctorale « Sciences sociales ». […]

Je souhaiterais également dire deux mots de la raison pour laquelle nous avons estimé intéressant de monter un séminaire sur ce thème. Force est de constater que nous assistons, aujourd’hui, au niveau mondial, à une dégradation importante des conditions sociales d’existence. Le salariat exploité ne cesse d’augmenter, les politiques d’austérité se multiplient, la crise de 2008 a accru le nombre de travailleurs précaires, pauvres, vulnérables et sans emploi (notamment chez les femmes et les jeunes), la croissance des salaires est bloquée pour les moins dotés économiquement, les déplacements forcés de population s’intensifient. De surcroît, la part des revenus alloués au travail a diminué, tandis que les richesses sont toujours plus concentrées entre les mains d’une oligarchie.

À cet abaissement général des conditions de vie des « 99 % », fait pièce une recrudescence des protestations sociales et politiques. À l’échelle internationale, les syndicats et les mobilisations sociales, sur fond de contradiction capital/travail, se sont largement développés ; le mouvement altermondialiste, en perte de vitesse depuis quelques années, a toutefois permis que se tissent des liens militants pérennes permettant une coordination plus aisée de certaines causes et luttes ; les « mouvements de crise » et d’occupation des places ont mobilisé en nombre ; l’instabilité politique, les crises de régime et les dysfonctionnements institutionnels, tant des pays émergents, autoritaires, que des démocraties occidentales vont grandissants.

Cette liste des points de tension avec l’ordre social dominant est, ici, loin d’être complète, mais l’on peut globalement avancer que les volontés pratiques de dépassement du capitalisme restent aujourd’hui particulièrement actives et s’ajustent aux spécificités plus nombreuses des formes d’impérialisme (régionaux, nationaux, continentaux, etc.), et notamment à la nouvelle division internationale du travail. Leur vitalité (« Printemps arabe », mouvements d’occupation, grèves ouvrières, mobilisations féministes, LGBTI, écologistes, de migrants, etc.) créée d’ailleurs un raffermissement des réponses du système allant des révolutions passives d’aménagement du Welfare – là où il existe encore –, à la libéralisation accrue des communs, en passant par la mise en œuvre de contre-révolutions violentes, ou celle de formes plus classiques de répression et d’offensives réactionnaires (état d’exception, mise à mal des droits sociaux fondamentaux, montée du néoconservatisme, des extrêmes droites, du fondamentalisme, du racisme, etc.).

La mondialisation capitaliste fait évoluer les modes de domination de classe, les durcit, mais déclenche aussi un niveau de conflictualité sociale particulièrement important qui semble la plonger dans une instabilité structurelle. D’aucuns estiment que s’ouvrent actuellement une séquence de crise permanente (institutionnelle, idéologique, de légitimité), où le niveau d’affrontement social (grèves, manifestations, occupations, insurrections, émeutes, etc.) pourrait devenir particulièrement élevé – i.e. ouvrir des crises révolutionnaires  via des grèves générales insurrectionnelles des guerres populaires prolongées, et épouser des formes d’engagement et d’action collective de plus en plus variées, tant sur le plan des causes qu’au niveau des manières de faire collectif, ou quant à celui des répertoires de mobilisation.

L’objectif de ce séminaire est d’essayer d’y voir un peu plus clair dans cette effervescence contestataire et nous allons commencer aujourd’hui avec une intervention de Laurent JEANPIERRE qui nous fait donc le plaisir d’ouvrir ce cycle d’interventions et que je remercie chaleureusement d’avoir accepté notre invitation. Laurent enseigne ici même à Paris 8, en tant que Professeur ; il y dirige le Labtop, Laboratoire des Théories du Politique, l’une des trois composantes de l’UMR CRESSPA et ses travaux de recherche portent sur différents sujets d’importance : les mondes intellectuels, les migrations, l’iconographie politique des dominés, les épisodes révolutionnaires et les crises politiques, ainsi que d’autres thèmes encore. Je ne dresserai pas la liste des publications de Laurent, on y passerait la journée, mais je ne peux que signaler le numéro 211-212 d’ARSS qu’il a codirigé avec Choukri Hmed et publié en mars 2016 : « Révolutions et crises politiques Maghreb/Machrek » qui constitue l’une des bonnes raisons de la présence de Laurent parmi nous aujourd’hui.

Cette livraison d’ARSS est intéressante parce qu’elle tente d’enrichir les modèles d’analyse des crises politiques telles qu’a pu les définit Michel Dobry, c’est-à-dire, je le cite, comme « processus sociaux aboutissant, ou susceptibles d’aboutir, à des ruptures dans le fonctionnement des institutions politiques, pas nécessairement légitimes, propres à un système social et paraissant menacer la persistance de ces institutions ». Intéressante parce qu’elle revendique, toujours dans le sillage de Dobry de s’inscrire dans une hypothèse continuiste qui refuse de faire des séquences révolutionnaires des événements sui generis qui ferait davantage rupture que continuité, mais sans gommer l’autonomie relative et la logique propre des situations politiques critiques.

Intéressante également parce qu’elle réinscrit les spécificités des moments critiques des révolutions arabes dans une profondeur socio-historique qui vise à saisir les structures sociales et politiques à l’origine des conjonctures révolutionnaires, dans le même mouvement que l’ici et maintenant desdites conjonctures et des mobilisations collectives.

Intéressante encore parce que cette livraison démystifie un certain nombre d’« allants de soi » qui tendent à voire des causes essentielles, là où il n’y a par exemple que des médiations qu’il s’agit davantage d’expliquer que de les constituer en explications, à l’instar du rôle que joueraient les sites de réseaux sociaux dans les soulèvements, sujet sur lequel nous reviendrons lors de la prochaine séance.

Intéressante enfin parce qu’elle tente de renouveler le répertoire des concepts à disposition pour penser les crises politiques et révolutionnaires. Dans le sillage des élaborations théoriques bourdieusiennes, des propositions sont faites autour de notions comme « capital social révolutionnaire » ou « champ de la contestation révolutionnaire » qui viennent à la fois renforcer et déplacer des propositions antérieures de même obédience, comme celle de « capital militant », ou d’approches connexes, à l’instar des travaux de Lilian Mathieu sur l’espace des mouvements sociaux.


Séance 2 – Fabien GRANJON et Ulrike RIBONI : Luttes sociales, technologies médiatiques et productions symboliques

 

INTRODUCTION FG : Nous sommes réunis aujourd’hui pour la seconde séance du séminaire Politiques du conflit au XXIème siècle qui a pour intitulé « Luttes sociales, technologies médiatiques et productions symboliques », thématique large qui nous donne l’opportunité d’intervenir à deux voix sur la mise en œuvre d’espaces publics oppositionnels dans un contexte de conflictualité sociale.

Nous allons donc successivement prendre la parole. J’interviendrai en premier sur la construction des mobilisations, des émotions et des identités en lutte sous les nouvelles conditions technopolitiques des outils numériques et Ulrike prendra un cas doublement particulier pour prolonger d’une autre manière le constat. Particulier une première fois de par la conjoncture qu’il prend pour objet, à savoir la crise révolutionnaire tunisienne, particulier une seconde fois dans la mesure où le type de productions symboliques sur lequel il fait fond tient pour l’essentiel à la production de matériaux vidéo.

Pour introduire l’un et l’autre de nos propos, j’aimerais commencer par insister sur le fait que la conflictualité sociale s’appuie toujours sur des « armes matérielles » au nombre desquelles les technologies d’information et de communication ont très souvent joué un rôle central. Les big media écrits et audiovisuels (presse, radio et télévision), tout comme les small media nettement plus mobilisables (« ronéo », cassettes audio, vidéo, etc.) font partie intégrante des technologies des mouvements sociaux et ce, depuis très longtemps, bien avant que la numérisation du signe fasse son œuvre.

L’action collective protestataire s’actualise en effet dans des formes d’agir pour le moins variées dont certaines sont assurément en lien avec des médiations médiatiques et technologiques qui organisent matériellement la diffusion, la mise en visibilité/publicité et la discussion de productions symboliques (informations, savoirs, idéologies) prenant part à la conflictualité sociale.

Les politiques du conflit ont ainsi, tout comme la plupart des activités sociales contemporaines, partie liée avec une variété de supports technologiques qui, aujourd’hui, relèvent assez largement de l’informatique connectée qui tend par ailleurs à être de plus en plus portable et mobile.

À en croire la littérature dédiée, Internet a notamment permis à un nombre croissant de mouvements sociaux d’ouvrir de nouveaux modes de participation à l’action collective, d’élargir le spectre des participants aux dynamiques protestataires, ou encore de faciliter la tenue de mobilisations, parfois de grande ampleur et de haute intensité. C’est précisément sur ce dernier aspect que je souhaiterais revenir aujourd’hui de manière assez générale et Ulrike présentera donc un cas plus particulier.


Séance 3 – Christophe AGUITON : La gauche du XXIème siècle

INTRODUCTION FG : C’est aujourd’hui la troisième séance du séminaire Politiques du conflit au XXIème siècle et nous allons présentement avoir le plaisir d’entendre et d’échanger avec Christophe Aguiton, autour de son ouvrage La Gauche du XXIème  siècle. Enquête sur une refondation.

J’aimerais évidemment te remercier chaleureusement d’avoir accepté notre invitation.

Il est toujours difficile de présenter Christophe du fait de ses nombreuses casquettes. Disons que professionnellement, cela fait maintenant une quinzaine d’années que Christophe intervient dans le domaine de la recherche et de l’enseignement. Il officie aujourd’hui à l’université de Marne la Vallée, après avoir été membre du laboratoire de sciences économiques et sociales d’Orange Labs pendant plus d’une décennie, période où tu as notamment développé des travaux sur la démocratie radicale dans les sphères militantes et de l’innovation technologique, sous les conditions socio-techno-politique de la numérisation du signe.

Christophe est évidemment aussi connu pour être un militant politique, syndical et associatif et, notamment, avoir été à l’initiative, avec d’autres, de la création de collectifs comme Agir ensemble contre le chômage, Les Marches européennes, SUD-PTT, Attac. Il a notamment et largement contribué au développement du mouvement altermondialiste en France et en Europe. Et cet internationalisme est évidemment au fondement et au cœur des propos tenus dans ses ouvrages.

En 2003, Christophe publie un livre intitulé Le Monde nous appartient qui tente de présenter sous forme synthétique les caractéristiques du mouvement altermondialiste. Il a publié il y a quelques mois, La Gauche du 21ème siècle, qui là aussi est un effort de synthèse qui porte cette fois sur les développements de la critique sociale de ces dernières années, notamment depuis la crise de 2008 et l’émergence de mobilisations importantes : Occupy, Indignados, révolutions arabes, etc.

L’ouvrage me semble particulièrement intéressant car il tente de poser un diagnostic informée de la période sous l’angle de la conflictualité sociale, en faisant notamment le bilan des expériences italiennes, espagnoles, grecques et sud-américaines – surtout le Brésil –, mais aussi et surtout en s’attelant à retravailler, à la lumière des luttes menées ces dernières années, les questions fondamentalement politiques qui traversent ou devraient traverser les combats anticapitalistes contemporains : la question de la raison stratégique, la question du sujet historique de la transformation sociale et bien sûr celle des alliances. La Gauche du 21ème siècle s’essaie donc à l’exercice irremplaçable du « bilan et perspectives » depuis un regard critique que les esprits chagrins auront tôt fait de considérer par trop hâtif et survolant, mais cette faiblesse putative me semble être, en l’occurrence plutôt une force.

La Gauche du 21ème siècle pose ainsi un certain nombre d’hypothèses qui me semblent discutables au sens positif du terme, c’est-à-dire qui mérite d’être discutées. Il me semble notamment qu’au global, ce que tu défends Christophe, est finalement très proche des positions que défendent les initiateurs de Podemos : Pablo Iglesias, Inigo Errejon et Juan Manuel Monedero. Les terrains que tu arpentes sont notamment tous marqués par le rôle important joué par des partis : Rifondazione Comunista, le PT, Syriza, Podemos qui donne de l’importance, me semble-t-il à raison, à cet acteur collectif tant décrié qu’est le parti politique, mais évidemment sous des auspices qui ne sont pas ceux des partis des gauches de gouvernements socio-démocrates qui, eux, sont en pleine déliquescence. J’imagine que tu reviendras sur ce point en particulier.

Tu avances également un certain nombre d’analyses tout à fait intéressantes quant à la nécessité de réviser le corps théorique de la raison stratégique et politique dont tu estimes qu’il doit donc être revue et corrigé autour notamment :

-de la place à donner à la démocratie directe ou radicale, au consensus, au peuple, aux processus constituants et ce, bien sûr au détriment de la démocratie représentative formelle et d’un personnel politique élitaire. Cet allant pour instaurer une démocratie nouvelle peut aller paradoxalement jusqu’à l’acceptation d’un « populisme de gauche » tel que le conceptualisent Chantal Mouffe et Ernesto Laclau et de l’utilité de leaders charismatiques qui incarnent la polarité progressiste des luttes sociales, au risque de l’étatisme, du républicanisme et d’un laïcardisme. Tu décris donc la nécessité d’une troisième voie susceptible de marier les nécessités d’un certain horizontalisme avec des pragmatiques plus verticales ont tout de même pu faire la preuve de leur efficacité.

-de la place à accorder aux stratégies électorales et au suffrage universel visant la prise du pouvoir dans les conditions formelles de la démocratie représentative, stratégies qui seraient toutefois débarrassées de tout fétichisme de l’État, notamment eu égard à ce que je viens de dire. Ne pas confondre les fins et les moyens. Stratégies électorales qui rompraient donc également avec la fonction essentiellement tribunitienne de candidatures qui n’imaginent pas pouvoir gagner et donc n’envisagent aucunement des jeux d’alliance ;

-de la place à donner à une pensée et à une pratique des communs et des pratiques socialisées non étatisées visant à instaurer davantage d’autonomie et à élargir les zones de pouvoir autogestionnaires et coopérativistes, notamment à l’aune des principes d’un écosocialisme dégagé du productivisme et de l’étatisme. Ce point me paraît intéressant – et c’est d’ailleurs aussi le cas du point précédent – parce qu’il met le doigt sur une vision du politique qui doit forcément être bicéphale, à la fois dissociative et associative si l’on voulait reprendre les concepts de Laclau et Mouffe. Dissociative parce que le politique doit être agonistique, il doit s’opposer, jouer à plein le travail du négatif et ses conséquences, associative par ce que les alternatives politiques doivent aussi jouer la carte d’un agir en commun. Pour le dire encore autrement : s’opposer à l’ordre social et proposer des dynamiques émancipatoires. Ces deux orientations doivent pouvoir s’articuler mais les nécessités pratiques de l’une et l’autre de ces phases nécessitent évidemment des logiques qui peuvent entrer en contradiction ;

-de la place à accorder à des nouvelles alliances afin de construire une volonté collective et une hégémonie nouvelles qui ne sauraient être seulement attachées à la seule mobilisation du prolétariat. Tu vas même un peu plus loin en défendant l’idée que les secteurs à articuler dans le cadre d’une dynamique de transformation sociale sont, en tout cas dans les sociétés occidentales, les restants du salariat organisé, les classes moyennes urbaines – précaires pour sa fraction la plus jeune –, disposant pourtant d’un capital culturel important et les populations immigrées des quartiers. Reste évidemment à voir sous les conditions de quel type de conjoncture cette articulation pourrait être souhaitable, possible et gagnante. La tripartition des secteurs sociaux susceptibles de se coaliser pourrait presque être décrite comme bourdieusienne en ce qu’elle donne une importance centrale aux désajustements entre espérances subjectives et chances objectives comme ferments des crises politiques.

Cette proposition que tu fais sur un plan politique, me semble d’ailleurs ne pas s’apparier avec la proposition, épistémologique cette fois, très en vogue notamment ici à Paris 8, qui consiste à poser l’intersectionnalité comme source d’alliances possibles. Tu préfères pour ta part insister sur la reconnaissance des fragilités et des vulnérabilités comme dénominateur commun à la fabrique des coalitions dans une version déflationniste de l’importance à accorder au programme politiques essentiellement construits à partir d’objectifs et de revendications.

Pour terminer et lancer d’ores et déjà quelques pistes de discussion pour la seconde phase de notre rencontre, il se trouve que tu revendiques également en certains endroits de ton livre une approche pragmatique que tu rapproches de celle que développait Boltanski à la période de son ouvrage sur les cadres, notamment liée à sa volonté de fonder une analyse historique et sociale empiriquement ancrée. Si cela se résume à ces nécessités, on pourrait parler d’une approche critique matérialiste qui par la suite, n’a pas été celle de Boltanski quand justement il revendiquait une approche pragmatique de la critique. Peut-être pourrais-tu apporter les précisions utiles à l’éclaircissement de ce point.

 


Séance 4 – Quentin RAVELLI : Les luttes sociales en Espagne

INTRODUCTION FG : Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui, pour la dernière séance de l’année – nous reprendrons le séminaire fin janvier –, Quentin Ravelli pour son travail sur la crise économique et les luttes sociales en Espagne qui fait se rencontrer sociologie du travail, économie politique et ethnographie.

Quentin est sociologue, chargé de recherche au CNRS, il s’est d’abord fait connaître pour son travail doctoral qu’il a mené sur l’industrie pharmaceutique et qui a donné lieu à la publication d’un ouvrage au Seuil : La Stratégie de la bactérie. Une enquête au coeur de l’industrie pharmaceutique, mais aussi à un roman original chez Gallimard : Retrait de marché. Quentin a également traduit à plusieurs reprises Michaël Burawoy vers le français, notamment l’ouvrage Produire le consentement, publié à La ville brûle en 2015.

Ces dernières années, il a travaillé sur les crédits à risque dans le cadre des prêts immobiliers qui ont précipité la crise économique des subprimes aux États-Unis, mais aussi dans d’autres pays comme l’Espagne et qui se sont notamment soldés, comme vous le savez, par des faillites bancaires, du surendettement et du mal-logement. De ces enquêtes de terrain, Quentin a notamment tiré un film remarqué, Bricks, qui vient de recevoir le prix du premier film au Festival du film ethnographique Jean Rouch, ainsi qu’un ouvrage : Les briques rouges. Logement dettes et luttes sociales en Espagne, publié cette année aux Éditions Amsterdam.

Ces travaux prennent pour objet le fait qu’en Espagne, les prêts immobiliers toxiques ont été massivement distribués et ont contribué à la privatisation rapide d’un système bancaire qui semblait immunisé contre les excès de la spéculation. Aussi, après une phase de croissance particulièrement importante dans le secteur du ladrillo – c’est-à-dire de la brique –, matériaux de base de nombreuses constructions en Espagne, le marché s’est littéralement écroulé et avec lui l’illusion sociale de l’accès à la petite propriété. Ont alors émergé dans cette Espagne en crise des luttes sociales contre le mal-logement, les affres des crédits hypothécaires et les expulsions qui sont venues alimenter le mouvement des Indignados.

Le film de Quentin, dans sa vocation pédagogique de décorticage des configurations socio-économico-politiques m’a beaucoup fait penser au film d’Armand Mattelart, La Spirale qui porte sur un tout autre thème, mais qui fait cet effort de déconstruction de la naturalisation de certains faits et notamment en partant d’éléments qui semblent à première vue triviaux, mais qui sont saisis depuis un point de vue qui les rend de suite énigmatique. Dans Bricks, l’objet brique, le ladrillo, devient la marchandise-symbole à partir de laquelle peut se déplier une analyse de la situation. C’est un film particulièrement intéressant dans la mesure où il mélange les attendus des sciences sociales avec les nécessités de la pédagogie et de l’engagement.

Quentin a ainsi enquêté dans la région de la Sagra, entre Madrid et Tolède où se concentre une partie de l’extraction argilière et de la production de briques espagnoles et a construit l’objet brique comme fil rouge de la crise pour montrer comment une marchandise aussi anodine qu’une brique est un rouage des structures de domination et participe de dynamiques capitalistes mortifères.


Séance 5 – Ugo PALHETA et Julien SALINGUE : Stratégie et parti

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INTRODUCTION FG : Nous nous retrouvons aujourd’hui pour la 5ème séance du séminaire « Politiques du conflit au XXIème siècle » qui est de fait la 1ère séance d’un nouveau cycle de 4 rendez-vous. Outre celui d’aujourd’hui qui va nous amener à écouter et discuter avec Ugo Palheta et Julien Salingue autour de leur ouvrage Stratégie et parti qui rend hommage à Daniel Bensaïd, nous nous retrouverons la semaine prochaine autour du thème « (Dé)subjectivations et luttes sociale » pour lequel nous avons invité Geoffrey Pleyers. Le 9 février, c’est Philippe Corcuff qui viendra nous rendre visite avec une conférence qu’il a intitulé « Pour de nouvelles théories critiques au XXIe siècle : problèmes épistémologiques et théoriques, enjeux politiques, obstacles académiques ». Enfin, ce séminaire se clôturera avec Olivier Fillieule qui nous présentera un panorama des recherches sur les mouvements sociaux en Europe.

J’aimerais toutefois préciser que les séminaires du CEMTI-Critic ne s’arrêteront pas là. Je vous invite à participer aux séances du séminaire « Désintégrer Heidegger », proposé par Alexander Neumann qui promet de savoureux échanges. La première séance aura lieu le 9 mars et les autres se dérouleront du 6 avril au 15 mai. Je vous invite à aller regarder le site fabiengranjon.eu. Hors les murs, je me permets également de vous signaler le séminaire de Carlo Vercellone, « Le commun entre travail et institutions ».

Ok… ça c’était pour la page de pub. Revenons à nos moutons stratégiques et partidaires…

Donc pour l’heure nous accueillons Ugo Palheta, EC en sciences de l’éducation, directeur de publication de la revue Contretemps, spécialiste des transformations contemporaines du système d’enseignement et auteur notamment auteur de La domination scolaire. Sociologie de l’enseignement professionnel et de son public (PUF, 2012) ; et Julien Salingue, politiste-maison puisqu’il a soutenu sa thèse ici à Paris 8 ; Julien est co-animateur d’Acrimed et surtout spécialiste de la cause palestinienne, auteur de nombreux ouvrages sur la question ; citons Des hommes entre les murs : comment la prison façonne la vie des Palestiniens (Agone), La Palestine des ONG : entre résistance et collaboration (La Fabrique), La Palestine d’Oslo (L’Harmattan) et d’autres encore.

Ensemble ils ont eu la bonne idée de commettre cet ouvrage pour le moins intéressant, Stratégie et parti (Les Prairies ordinaires, 2016) qui reprend les textes d’un ensemble de textes de Daniel Bensaïd qui ont servi à la fin des années 1980 à assurer un cycle de formation à l’Institut de formation des cadres de la 4ème Internationale. Ces textes sont précédés d’une longue introduction qui met en perspective l’importance des questions organisationnelles et stratégiques pour le mouvement ouvrier et postfacés d’une analyse de la période intitulée « Pour un recommencement communiste », plus précisément de la période et des conjonctures, reprenant donc ces questions à l’aune de notre contemporanéité.

Une bonne idée, ce livre, car il prend à rebrousse poils l’air du temps quant à ces pseudo-certitudes médiatiques, politiques et scientifiques qui énoncent que la forme parti serait une vieille chose tout juste bonne à remiser dans la poubelle de l’histoire politique, la période étant à l’horizontalité, à la participation, à l’horizontalité, aux réseaux et à l’idée de changer le monde sans prendre le pouvoir (Holloway, Graebber, Le comité invisible et autres facétieux), et d’autres encore qui suggèrent que la raison stratégique serait elle aussi une vieille lune marxiste-léniniste à l’heure où il s’agirait seulement d’être pragmatique et de se mettre en marche pour l’horizon d’un ni droite ni gauche traçant des lignes politiques rectilignes uniformes sur des terres du milieu où les classes sociales auraient disparu. Une pensée au final à la fois gauche et maladroite qui dessine un extrême centre qui loue l’individu, ses compétences, sa responsabilité et sa détermination, qui enterre les rapports sociaux de domination, le collectif et loue Gérald Bronner comme le nouveau Max Weber. Une époque formidable !

Dans Les Irréductibles, Daniel Bensaïd affirmait que la contingence stratégique est irréductible à la nécessité irréductible et que, par ailleurs, la lutte politique est irréductible au mouvement social. Il précisait ceci, je cite: « L’art de la décision, du moment propice, de la bifurcation ouverte à l’espérance, est un art stratégique du possible. Non le rêve d’une possibilité abstraite, où tout ce qui n’est pas impossible serait possible, mais l’art d’une possibilité déterminée par la situation concrète : chaque situation étant singulière, l’instant de la décision est toujours relatif à cette situation, ajusté au but à atteindre. Au-delà des antinomies formelles du sujet et de l’objet, de la structure et de l’événement, du matériel et du symbolique, du prédictible et de l’imprédictible, la raison stratégique est l’art de la réponse appropriée. Elle ne domine pas la situation. Elle ne la survole pas. Elle ne la surplombe pas. Elle s’y enracine pour remettre en jeu les règles et les normes établies.

S’agissant du politique, Daniel posait la question, je cite encore : « Tout est politique ? Il répondait : Dans une certaine mesure, et jusqu’à un certain point. En ‘‘dernière instance’’, si l’on veut, et de diverses façons. Entre partis politiques et mouvements sociaux, plus qu’une simple division du travail, opèrent une réciprocité et une complémentarité. Alors que la subordination des mouvements sociaux aux parties politiques signifierait une étatisation du social, la dissolution des partis dans le mouvement social signifierait un inquiétant dépérissement de la politique. Réduite à un prolongement direct du social, elle se limiterait au lobbying corporatif. L’addition d’intérêts particuliers sans volonté générale finirait par déléguer à une bureaucratie toute puissante la représentation de l’universel ».

Dans Stratégie et parti Bensaïd reprend les débats sur les grandes hypothèses stratégiques et les formes d’organisation révolutionnaire. Il passe en revue différents théoriciens et stratèges politiques : Kautsky, Luxembourg, Lénine, Trotski, Mao, mais aussi Gorz, Debray ou Bordiga. Sa vision est à 360°, il embrasse les expériences révolutionnaires à l’échelle du monde, sur les deux derniers siècles. Stratégie et parti vont évidemment de paire, l’une est l’art de trancher dans les possibles, l’autre, la médiation entre la théorie et la pratique, précisément à même de porter les principales nécessités de la raison stratégique.

Ses réflexions de plus de 30 ans nous invite évidemment à nous poser la question de la ou des formes historiques particulières que pourrait prendre aujourd’hui un parti révolutionnaire conséquent et utile, c’est-à-dire en capacité de prendre l’initiative de la lutte politique dans ce qu’elle peut avoir de plus divers et de poser la question du pouvoir. La question est ouverte et je laisse la charge à Ugo et Julien d’y répondre.


Séance 6 – Geoffrey PLEYERS : (Dé)Subjectivations et luttes sociales

INTRODUCTION FG : Nous nous retrouvons aujourd’hui pour la 6ème séance du séminaire « Politiques du conflit au XXIème siècle » qui porte cette fois sur le thème « (Dé)subjectivations et luttes sociale » et pour lequel nous avons invité Geoffrey Pleyers à s’exprimer.

Notre invité est sociologue, formé pour partie au Centre d’analyse et d’intervention sociologiques, laboratoire de l’EHESS fondé et dirigé comme vous le savez par Alain Touraine, puis dirigé ensuite par Michel Wieviorka et d’autres chercheurs. Il est chercheur au Fonds national de la recherche scientifique en Belgique, professeur au sein de l’Université Catholique de Louvain et spécialiste des mouvements sociaux et des processus de globalisation, notamment dans leur rapport à l’action collective. Geoffrey est notamment l’auteur ou le directeur de plusieurs ouvrages publiés en différentes langues : Alter-globalization : becoming actors in the global age (Polity, 2010), Movimientos sociales. De lo local a lo global (Anthropos, 2009), Mouvements sociaux. Quand le sujet devient acteur (FMSH éd, 2015) et plus récemment Subjectivation et désubjectivation. Penser le sujet dans la globalisation (FMSH éd, 2017).

Comme le suggère certains des titres ou sous-titres des ouvrages que je viens de citer, la question du sujet, de l’acteur et des processus de subjectivation se trouvent au coeur des travaux de Geoffrey Pleyers et ce, depuis des perspectives qui ne sont pas celles que nous mobilisons dans les travaux de notre laboratoire, ni même plus globalement par les collègues qui travaillent sur ces sujets à Paris 8, mais précisément, il me semblait intéressant de pouvoir calmement discuter de ces approches. Pour les membres du CADIS, les travaux qui portent leur libido sciendi sont évidemment ceux de Touraine et de Wieviorka. Pour ce dernier les processus de subjectivation sont, je le cite : « la possibilité de se construire comme individu, comme être singulier capable de formuler ses choix et donc de résister aux logiques dominantes, qu’elles soient économiques, communautaires, technologiques ou autres ». Et il ajoute : « C’est d’abord la possibilité de se constituer soi-même comme principe de sens, de se poser en être libre et de produire sa propre trajectoire ».

Dans cette perspective, les procès de subjectivation relèvent donc d’un travail volontaire et responsable. Pour autant Geoffrey Pleyers, Emmanuel Boucher et Paola Rebughini, précisent, je les cite, que « le sujet n’est ni anhistorique, ni asocial, ni aculturel. Il n’est pas indépendant de toute référence à des rapports sociaux ou à l’appartenance à un groupe, une société, une culture, une religion. Il faut alors comprendre les processus autour desquels le sujet se façonne ou se détruit, c’est-à-dire les processus d’appropriation de l’expérience ou de perte de sens ».

S’agissant des politiques du conflit et notamment celles qui ont émaillé ces 25 dernières années, les travaux de Geoffrey insistent sur le fait que l’engagement contemporain ne serait pas seulement social et collectif, mais aussi profondément personnel. L’engagement dans les différentes formes d’action collective serait, peut-être davantage aujourd’hui que par le passé, un travail de celui qui s’engage sur sa subjectivité et sa subjectivation, entendue comme la manière de se penser et de se construire soi-même comme principe de sens. Là aussi, la référence aux travaux de Touraine et peut-être plus encore aux travaux de Wieviorka est tout à fait centrale. Dans l’introduction générale à Mouvements sociaux. Quand le sujet devient acteur, la perspective que vous déployez sur les mouvements sociaux contemporains s’articule ainsi autour de 3 propositions que je me permettrais de rappeler :

-1) les dynamiques de subjectivation et des dimensions subjectives occupent une place centrale dans les mouvements contemporains ;

-2) ces mouvements se déploient et s’organisent à différentes échelles, du local au global. Les dimensions globales de ces mouvements ne doivent pas conduire à sous-estimer l’importance des échelles locales et nationales ;

-3) l’étude des mouvements sociaux progressistes et celles des mouvements conservateurs ne doivent pas être considérées comme relevant de deux champs d’analyse séparés. Les outils analytiques proposés doivent être tout aussi utiles pour comprendre les mouvements d’émancipation, les acteurs conservateurs ou ouvertement racistes ;

Via ces trois propositions analytiques, il s’agit de mettre en lien l’intériorité des individus avec les conditions sociales, politiques, économiques et culturels les plus globales. Dans le sillage d’Anthony Giddens, il s’agit donc d’articuler subjectivation et globalisation, ce qui permettrait de repenser les formes d’engagement et le sens des luttes politiques contemporaines. L’hypothèse centrale qui est faite tient à ce que ce serait au niveau de la subjectivité même des individus, de la manière dont ils se construisent comme sujets et acteurs que se joue une partie essentielle des enjeux des mouvements contemporains et que se trouve l’un des pôles majeurs de la transformation de la société. Vous affirmez ainsi que « c’est dans la relation à soi, dans une éthique personnelle et une volonté de cohérence que se trouvent le sens et le moteur de l’engagement de nombreux activistes des années 2010 ». La subjectivation serait donc d’abord un rapport à soi-même, une compétence réflexive pour se penser soi, les autres et le monde ; et la conflictualité sociale un espace d’expression des singularismes et des engagements qui ne seraient non pas tant le fruit, je cite là Geoffrey « d’un écart entre les position structurelles des acteurs au sein d’un espace social intégré » que de « résistance aux forces sociales ou non qui affectent leur existence ». Aussi, changer le monde est censé commencer par une transformation de soi.


Séance 7 – Philippe CORCUFF : Pour de nouvelles théories critiques au XXIe siècle : problèmes épistémologiques et théoriques, enjeux politiques, obstacles académiques

INTRODUCTION FG : Nous sommes réunis aujourd’hui pour l’avant dernière séance du séminaire « Politiques du conflit au XXIème siècle » pour laquelle nous avons invité Philippe Corcuff qui s’est proposé de livrer une intervention qu’il a titré : « Pour de nouvelles théories critiques au XXIème siècle : problèmes épistémologiques et théoriques, enjeux politiques, obstacles académiques ». Je remercie bien évidemment fort chaleureusement Philippe d’avoir accepé cette invitation et permettez-moi pour commencer de dire deux mots de notre invité.

Vous connaissez sans doute Philippe pour l’avoir lu ou entendu ici à Paris 8 ou ailleurs. Philippe est sociologue, il enseigne la science et la philosophie politique à l’IEP de Lyon depuis maintenant 25 ans. Durant près de 20 ans, jusqu’en 2003, Philippe Corcuff a été membre du GSPM, Groupe de Sociologie Politique et Morale, initialement dirigé par Luc Boltanski, laboratoire au sein duquel il aura notamment l’occasion de compléter le répertoire des régimes d’action proposés par Boltanski et Thévenot, avec d’une part l’élaboration d’un « régime de compassion » et d’autre part la définition d’un « régime machiavélien ».

Aujourd’hui, une des composantes essentielles du travail de Philippe porte sur l’individualisme contemporain et l’individualité. Dans le cadre même de ce séminaire, Philippe nous avait d’ailleurs gratifié, il y a quelques années, d’un conférence intitulée « Pensée critique, individualités et individualisme ». Il a notamment, sur ce point, développé dans son ouvrage Où est passée la critique sociale ? la notion de contradiction capital/individualité. C’est également dans cet ouvrage qu’il pose les premiers jalons d’une sociologie critique qui emprunte notamment à Bourdieu mais aussi a la sociologie pragmatique de Boltanski et Thévenot, ainsi qu’à la philosophie de Foucalt ou encore à celle de Rancière.

L’épistémologie des sciences sociales est également au cœur des intérêts de connaissance de Philippe qui a écrit beaucoup de choses sur la question de la démarcation entre savant et politique, savant et populaire, engagement et distanciation, ainsi que sur les constructivismes, le relativisme postmoderniste et les politiques de l’identité.

Contre le scientisme, les généralisations abusives et les « hyperlocalismes » relativistes, Philippe Corcuff propose donc « un autre style de théorie générale » fondée sur un individualisme contemporain occidental n’essentialisant pas les individus. Celui-ci serait marqué par un souci du global, reconnaissant l’existence de structures de domination, mais travaillées par un corps social qui en difracterait les effets, tout comme il pourrait y résister et s’en dégager plus ou moins partiellement de manière singulière et contradictoire. Afin de s’atteler à la tâche, Philippe s’est notamment fait spécialiste de ce qu’il appelle des « dialogues transfrontaliers » entre sciences sociales, philosophie et cultures populaires (cinéma, séries télévisées, polars, chansons, etc.). Philippe s’inscrit donc en faux contre les penchants hégémoniques de l’élaboration théorique et promeut un œcuménisme critique des référents conceptuels. Il sait toutefois se tenir à bonne distance des joyeux barnums postmodernes. Ceux qui, d’une part, tendent à confondre l’objet et le point de vue sur l’objet sous prétexte qu’il s’agit dans un cas comme dans l’autre de constructions sociales et qui, d’autre part relèvent souvent de « pensées patchwork » faites d’emprunts hétéroclites peu contrôlés. Cette ouverture entre autres mâtinée de pensées libertaires, notamment depuis qu’il a rejoint les rangs de la Fédération anarchiste. Depuis 2013 Philippe co-anime le séminaire Explorations Théoriques Anarchistes Pragmatistes pour l’Émancipation et dont on peut trouver les travaux sur le site libertaire « Grand Angle ».

On l’aura compris, outre la nécessité de discuter les ressources critiques fournies par les sciences sociales et la philosophie politique afin de saisir le monde tel qu’il va : le décrire, l’expliquer, le comprendre, l’évaluer, il s’agit aussi de construire les résistances visant à le transformer. L’une des questions qui traversent les travaux de philippe porte sur la dialectique entre connaissance et action, c’est-à-dire sur l’exigence d’une praxis qui, visant le dépassement de la société actuelle, pose la question du travail du négatif, en liaison étroite avec le principe d’une émancipation à venir. Plus précisément encore, Philippe entend discuter les aspects théoriques de cette praxis à l’horizon de la nécessité émancipatrice, celle-là même qui serait donc susceptible de redonner quelque puissance de penser et d’agir aux individus et aux collectifs qu’ils forment.

C’est à l’aune d’une savoureuse hétérodoxie portée par ses talents de pédagogue, de sociologue et de militant que Philippe nous propose un ensemble de réflexions variées cherchant à définir (souvent en creux et de manière toujours non-dogmatique) ce que pourrait être une critique sociale radicale et émancipatrice en tension. Il s’agit de réexaminer la façon dont les problématiques critiques sont aujourd’hui posées au croisement de la théorisation académique, du champ politique, de celui des mouvements sociaux, et de l’exercice citoyen ordinaire (le savant, le politique et le populaire). Si s’arracher à un certain présentisme fait partie des dégagements prophylactiques que Philippe conseille à la critique, il lui semble également nécessaire de se défaire de toute forme de conspirationnisme (un fétichisme du dévoilement), d’essentialisme (une pensée de l’identité gommant la complexité et les contradictions du réel), de collectivisme (le dénigrement de l’individuel comme lieu et ressource essentiels de l’autonomie), mais aussi d’académisme. Mais Philippe va nous en dire davantage tout de suite…


Séance 8 – Olivier FILLIEULE : Les recherches sur les mouvements sociaux en Europe