Ouvrage — Matérialismes, culture & communication – Tome 3 – Économie politique de la culture, des médias et de la communication — À paraître en septembre 2019 aux Presses des Mines

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Présentation

Culture, médias et critique de l’économie politique

Fabien Granjon, Jacques Guyot, Christophe Magis

« À mesure que la valeur domine la production, les moyens matériels de l’échange (moyens de communication et transports) gagnent en importance. Le capital tend, de par sa nature même, à dépasser toutes les limites de l’espace. La création des conditions matérielles de l’échange devient en conséquence une nécessité impérieuse pour lui : il brise l’espace au moyen du temps. »

Marx, Grundrisse.

Au sein du continent des sciences sociales, l’économie politique de la communication apparaît sans doute comme une région scientifique un rien « exotique ». La logique de la division sociale du travail académique et l’hyperspécialisation des domaines de la recherche tendent à mettre toujours à bonne distance des connaissances spécialisées celles et ceux qui, même curieux, ont des intérêts de connaissance qui se rattachent à d’autres provinces épistémologiques. Le « cataplasme interdisciplinaire » – devenu le cache-sexe de la bureaucratie universitaire –, le volontarisme des uns ou l’ouverture d’esprit des autres n’y font d’ailleurs pas grand-chose. Et même pour les supposés « experts » du domaine, l’économie politique de la communication (EPC) conserve quelque étrangeté, tant elle décrit moins une zone franche scientifique où il ferait bon d’investir sa libido sciendi qu’un secteur condensant un ensemble de problèmes importants d’interprétation théorique.

Il faut reconnaître que la réflexivité épistémologique n’est, historiquement, pas franchement le fort des traditions de recherche se revendiquant de l’EPC. Plusieurs raisons peuvent être évoquées. En Europe, on aime à dire qu’il s’agit d’un courant principalement nord-américain, donc traditionnellement moins enclin à la réflexion conceptuelle qu’engagé à produire des propositions sociales et politiques (Miège, 2004 ; Mosco, 2000) – vision dont on peut pourtant facilement démontrer ce qu’elle a de caricatural (Hardy, 2014 : 33). Ailleurs, la définition retenue pour l’approche est si large – l’étude « [d]es relations sociales […] qui constituent mutuellement la production, la distribution et la consommation des ressources » de la communication (Mosco, 2009 : 25) –, qu’elle finit par décourager toute tentative d’exégèse cohérente (Curran, 2014 : xi). De surcroît, l’EPC revendiquant rarement sa formalisation en tant que courant, avant le milieu des années 1970, il a longtemps été considéré comme prématuré d’entamer un tel travail d’éclaircissement à son sujet (Meehan, 2004). Ainsi, les travaux s’essayant à quelque vision théorique d’ensemble n’arrivent pas, à de très rares exceptions près émanant notamment du continent latino-américain, avant le début des années 2000. Et, quoiqu’assez abondants et conséquents depuis lors (en tout cas en langue anglaise – à cette abondance répond une quasi-absence d’équivalents français), ils ne cachent pas la difficulté que revêt la tentative de considérer ensemble des travaux et des auteurs qui ont réfléchi depuis des contextes politiques, économiques, sociaux et académiques fort différents, et depuis des cadres conceptuels tout aussi divers (Winseck, Jin, 2012 ; Bolaño, Mastrini, Sierra, 2012 ; Wasko, Murdock, Sousa, 2011 ; Miège, 2004 ; Calabrese, Sparks, 2004). Par ailleurs, parmi ce qui est disponible, et notamment en français, il conviendra désormais d’appliquer un démarcage entre ce qui relève proprement de l’économie politique de la communication (ou de la culture, des médias, etc.) en tant que courant de recherche, et ce qui relève ou dit relever davantage de l’« économie politique », de la « socio-économie de la communication », ou simplement de l’« économie de la communication », ces catégories décrivant en général plutôt des méthodologies, voire des sous-champs disciplinaires. Et force est de constater que les délimitations sont quelquefois ténues ou les dénominations contradictoires ! Si l’on en reste à la définition la plus stricte de l’économie dominante, parler d’« économie de la communication », à l’extérieur du seul domaine de l’économie du secteur des télécommunications ou des médias ne fait pas franchement sens. Dans la mesure où les économistes réfléchissent selon des modèles aux variables les plus réduites possibles, de la « communication » comme catégorie économique, les économistes ne semblent pas avoir besoin. C’est ainsi l’un des premiers paramètres que les modèles mettent à l’écart : par exemple, la catégorie de prixse substitue à toute la richesse des échanges entre les intervenants sur un marché, et la catégorie de production est vue comme une simple entité transformant des facteurs de productionen biens et services(Rallet, 2006). Pour ce qui concerne l’analyse du secteur de la culture, des médias ou des télécommunications, la science économique ne peut, quoique mainstreamqu’elle soit – souvent sous le terme anglais de Cultural Economics –, faire tout à fait fi de la dimension sociale essentielle des objets analysés (Benhamou, 2002 ; Throsby, 2001). Son apport tend donc à s’ancrer dans ce que serait une « socio-économie ». Enfin, depuis la crise financière de 2007-2008, qui est aussi une crise de la science économique dominante dans son ensemble, un certain nombre de voix se sont élevées, de par le monde, pour exiger la remise au jour d’une « économie politique », soit une analyse pluridisciplinaire visant davantage une théorisation de la totalité sociale plutôt qu’un savoir limitant ses prétentions scientifiques au caractère mathématisable des paramètres qu’il applique aux conduites et comportements individuels. Cette revalorisation de l’« économie politique » comme discipline (dont une traduction dans l’espace français a consisté en la proposition – refusée – d’une nouvelle section disciplinaire « Économie et société » au Conseil National des Universités) tend, par endroits, à se confondre avec les apports de la « socio-économie », telle que pratiquée jusqu’alors dans l’analyse de la culture, laquelle semble plus à même de représenter une science sociale attentive à la justice et à l’utilité sociales. Certaines exégèses récentes présentant l’EPC dans son ensemble font le choix de caractériser ainsi le courant à partir de cette spécificité disciplinaire autour de l’économie politique, présentée comme « inclusive », « réaliste » et « attentive au temps long » (Mosco, 2009), passant aussi quelque peu à côté de sa spécificité proprement critique et politique.

Mais, même à ce propos, l’incertitude règne ! Au sein de cette économie politique de la communication où les catégorisations ne se recoupent, en outre, qu’imparfaitement d’une perspective nationale à l’autre, il devient de plus en plus difficile de s’y retrouver, notamment quant aux perspectives politiques sur lesquelles elle fait fond. En effet, quand certaines approches s’inscrivent fortement dans la critique (Fuchs, 2015), d’autres pas du tout (Thierer, Eleksen, 2008). Il est désormais certain, pour le dire avec James Curran (2014 : xiv), que « l’économie politique des médias a deux bords [wings] » : un bord gauche et un bord droit, dont le second, quoique bien plus récent, commence à revendiquer de plus en plus bruyamment quelque droit de cité académique (Winseck, 2012). Le présent ouvrage se concentre sur les figures composant le « bord gauche », qui est le bord canonique comprenant les principales traditions de l’approche et pour lequel d’aucuns revendiquent désormais l’appellation d’« économie politique critique » des médias ou de la communication (Hardy, 2014 ; Murdock, Golding, 2005). Aussi, quoique toutes ces figures ne se réclament pas avec la même ferveur d’un ancrage dans l’épistémologie marxiste, on peut néanmoins admettre, selon la formule de Graham Murdock et Peter Golding, qu’elles se reconnaissent initialement dans une perspective critique « marxisante dans l’ensemble » (2005 : 61). Ou, dit de manière plus plaisante : « quoiqu’il ne soit pas nécessaire d’être marxiste pour participer de l’approche, ça aide ! » (Hesmondhalgh, 2013 : 34). Il faut ainsi reconnaître que, bien qu’ils n’aient pas toujours été théorisés ainsi a priori, les cadres théoriques que l’approche envisage sont originellement « marxistes ou néo-marxistes » (Wasko, 2014 : 260). La présente introduction a pour objectif de rappeler la généalogie de cette perspective critique de l’économie politique de la communication ancrée dans le matérialisme marxien et dans la Théorie critique. 

À l’heure où les espaces académiques d’intervention de la critique en communication tendent à se réduire et où, de toutes part, les termes et les notions peuvent finir par désigner l’inverse de ce qu’ils signifient et des comportements qu’ils justifient, une reconnexion du courant avec ses ferments critiques initiaux semble absolument nécessaire. Il faudra néanmoins alors que le courant lui-même, et les différents participants de son « bord gauche », finissent par s’attaquer à sa dénomination qui ne peut que s’avérer problématique, tandis que des propositions d’inspiration néoclassique entendent revendiquer une place à l’intérieur de l’EPC. Parler d’« économie politique critique » de la communication, afin de se démarquer, ne peut véritablement suffire. En effet, la notion anglaise de « critical political economy » (parfois aussi « radical political economy ») entend plutôt désigner un ensemble composite d’approches hétérodoxes de l’économie qui, pour être quelquefois marxistes, sont plus généralement post-keynesiennes, néo-ricardiennes ou institutionalistes (Sawyer, 1989) et ne trouvent leur unité (ténue) que dans leur opposition au courant dominant de l’économie néoclassique ou dans leur volonté affichée de produire une science économique « plurielle » et attentive aux apports issus des marges des sciences sociales (Arnsperger, 2010). Un tel cadrage, qui revendique parfois une considération de l’économie comme « science morale » (Sen, 1999), quoiqu’explicitement repris par certains contributeurs de l’EPC (Murdock, 2011 ; Hesmondhalgh, 2015), ne saurait suffire à réaffirmer l’ancrage critique et matérialiste du champ, qui doit être nécessairement (et désormais d’autant plus) attentif aux évolutions des formes d’exploitation, à l’incidence des moyens de communication sur les redistributions du pouvoir et sur les mutations de la lutte des classes et sur le rôle des productions théoriques sur la culture et la communication dans le maintien du statu quo. Il est probable, comme certains participants de l’EPC commencent à le proposer (Fuchs, 2014 ; Ouellet, 2014 ; 2016), qu’une reconnexion plus véritable de cet ancrage marxiste spécifique du courant passe dorénavant par l’affirmation et la tentative de constitution d’une « critique de l’économie politique de la communication », « “critique”, étant entendu, selon Marx, que l’“économie politique” en tant que science liée à l’existence de la production de marchandises et de la force sociale en tant que valeur et capital est formulée par les économistes du libéralisme » (Mattelart, 2014 : 28). Si nous garderons ici l’appellation d’« économie politique de la communication », à laquelle ont été attachés, pour l’essentiel, les auteurs présentés dans l’ouvrage, il nous paraît néanmoins évident que les conditions épistémologiques actuelles rendent, pour les travaux à venir, ce déplacement conceptuel nécessaire.

Réancrer l’économie politique de la communication dans la critique de l’économie politique

On le sait, le travail majeur de Karl Marx (Le Capital– Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie) est l’aboutissement, toutefois inachevé, de longues années d’un labeur commis sous les auspices d’une critique de l’économie politique(des Manuscrits de 1844au Capital– 1867-1883 –, en passant par Misère de la philosophie – 1847 –, les Grundrisse– 1857 – ou encore Contribution à la critique de l’économie politique – 1859), c’est-à-dire une critique « du système économique bourgeois », des postulats, de catégories phénoménales réifiées (marchandise, échange, marché, taux de profit, loi de la valeur, etc.) et des méthodes de la science économique telle qu’elle se donnait à lire dans les œuvres d’Adam Smith, de David Ricardo, de John Stuart Mill, de Thomas Malthus, de la physiocratie française (notamment chez François Quesnay), etc. : une « conséquence naturelle de l’expansion du commerce. Un système parfait de la tromperie institutionnalisée, une science complète de l’enrichissement » (Engels, 1998 : 7). 

« L’économie politique pour Karl Marx, c’était la science du mal, la théorie de l’ordre social dominant. Et il ne s’est jamais mis à l’étude de l’économie que par un parti pris de censure et de dénonciation. […] Il fallait non pas ajouter à l’interprétation du monde, mais annihiler par une critique radicale une science qui, sous les apparences de l’objectivité, était la science des moyens d’obtenir la richesse en produisant la misère. Expliquer pour mettre à nu la plaie de l’exploitation du travail ; détromper ; déchirer ce voile qu’est l’idéologie justificatrice de l’exploitation de l’homme par l’homme – telle était l’ambition de Marx, critique de l’économie politique » (Rubel in Marx, 1968c : xviii).

De nombreux travaux ont souligné combien le chantier ouvert par Marx sur cette question n’a eu de cesse d’évoluer, de se complexifier, de s’enrichir de développements non initialement prévus et, in fine, a abouti à une vision non monolithique de la critique de l’économie politique : « L’idée de critique de l’économie politique prendra des sens différents selon qu’elle sera interprétée à la lumière des Manuscrits de 1844, des Grundrisse ou du Capital. La diversité des interprétations est également rendue possible par la complexité d’un projet théorique qui poursuit manifestement des objectifs tout à la fois scientifiques et politiques, et qui n’hésite pas à combiner différents types d’approches de son objet » (Renault, 2014 : 134-135). En premier lieu, on peut ainsi saisir, dans le grand œuvre de Marx, une critique aiguisée des théories économiques alors hégémoniques et la volonté d’y substituer une connaissance plus scientifique (non positiviste, dialectique, nous y reviendrons) des processus de production et de distribution des produits, d’échange ou encore de consommation des marchandises. Par cette critique, Marx s’efforce de dénaturaliser les « métaphysiques » économistes qui se fondent sur des points de vue an/trans-historiques, naturalisants et des « robinsonnades » isolant les individus (homo œconomicus) des déterminations sociales et du mouvement réel de la société. En second lieu, l’opus magnum marxien est aussi, à l’évidence, une critique politique au vitriol de la révolution industrielle capitaliste et du capitalisme lui-même, c’est-à-dire d’un système dont la fin ultime est toujours l’accroissement de la quantité de valeur (accumulation du capital) et, à son fondement, l’exploitation d’une survaleur sociale issue de la sphère de la production : 

« Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s’élève un édifice juridique et politique et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence ; c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. À un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants, ou, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors, et qui n’en ont que l’expression juridique. Hier encore, formes de développement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves. Alors commence une ère de révolution sociale. Le changement dans les fondations économiques s’accompagne d’un bouleversement plus ou moins rapide dans tout cet énorme édifice. Quand on considère ces bouleversements, il faut toujours distinguer deux ordres de choses. Il y a le bouleversement matériel des conditions de production économique. On doit le constater dans l’esprit de rigueur des sciences naturelles. Mais il y a aussi les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques philosophiques, bref, les formes idéologiques dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu’au bout. On ne juge un individu sur l’idée qu’il a de lui-même. On ne juge pas une époque de révolution d’après la conscience qu’elle a d’elle-même. Cette conscience s’expliquera plutôt par les contrariétés de la vie matérielle, par le conflit qui oppose les forces productives sociales et les rapports de production. […] Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme antagonique du processus social de production. Il n’est pas question ici d’un antagonisme individuel, nous l’entendons bien plutôt comme le produit des conditions sociales de l’existence des individus ; mais les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent dans le même temps les conditions matérielles propres à résoudre cet antagonisme » (Marx, 1963 : 272-273 et 274).

Pour le dire rapidement, les travailleurs sont constitués en prolétaires par le système capitaliste et les rapports de production qui y prévalent, mais, par là même, ils sont également amenés à réagir à leur sujétion. Pour Étienne Balibar, c’est à cet égard qu’il est possible de parler d’une abstraction réelle, dans la mesure où celle-ci « règne aux deux extrémités : comme domination de la forme monnaie (dont les formes sont alternativement matérialisées et dématérialisées) et comme transformation des sujets en ouvriers, membres interchangeables (du point de vue du capital) d’une seule et unique force de travail sur laquelle il exerce son ‘‘commandement’’ » (2011 : 50). La division entre travail concret et abstrait devient le fondement d’une structure sociale qui se voit renforcée par le procès de marchandisation généralisée, lequel induit « que toutes les activités productives sont elles-mêmes de simples moments du travail social ‘‘abstrait’’ » (Balibar, 2011 : 50). Le capitalisme produit ainsi un pseudo-concret (Kosik, 1988), autrement appelé fétichisme de la marchandise (Artous, 2006), une indiscernabilité de l’apparence et du phénomène : « le fétichisme ne consiste pas en une illusion subjective ; il exprime plutôt la manière dont la réalité ne peut apparaître autrement dans le contexte d’une société ou l’activité est médiatisée par la ‘‘forme valeur’’ » (Martin, Ouellet, 2014 : 16). Et Balibar de rappeler que la prise en compte de ce processus d’abstraction réelle a notamment donné lieu à « toute une série de développements critiques […], à commencer par la théorie lukácsienne de laréification, qui conduit elle-même, avec l’école de Francfort, à un programme complet de critique des productions culturelles, et avec Benjamin à une phénoménologie des rapports entre l’art et la vie quotidienne dans la société bourgeoise » (2011 : 51). 

Le développementd’une EPC ancrée dans cette critique de l’économie politique peut sans doute être, au moins en partie, rattaché à la nécessité d’analyser les procèsde transformation qualitativedes rapports sociaux qui se trouvent toujours davantage en relation avec l’essor des industries culturelles, médiatiques, ainsi que la technologisation accrue des sociétés qui épouse, aujourd’hui, la forme de ce que l’on pourrait peut-être appeler un machinismenumérique. 

« L’activité et le produit de la communication n’échappent pas aux rapports sociaux dominants. Pour installer la forme mercantile de communication, pour faire d’elle une activité “naturelle”, une activité qui se réalise sans que les dominés (c’est-à-dire les récepteurs) puissent soupçonner son caractère d’instrument de domination d’une classe, le moyen de communication passera par un processus de fétichisation, par lequel passent tout produit et toute activité. […] Le fétiche de la communication cache le caractère répressif et manipulateur du pouvoir technologique dominant de diffusion (véritable nouvelle force productive) et le qualifie de force de libération et de bonheur, apparence sous laquelle il le présente aux dominés. Dans l’univers des fétiches, le moyen de communication apparaît comme une entité douée d’autonomie, d’“une volonté et d’une âme” propres, une espèce d’épiphénomène qui transcende la société où il s’inscrit. Dans la mise en scène d’un monde régi par la légalité technologique, il devient acteur et prend la relève des “forces naturelles” » (Mattelart, 2015a : 138).

L’EPC a ainsi partie liéeavec cette critique bifide que nous évoquions plus haut. D’une part, elle a vocation à porter une contradiction directe aux modèles d’analyse qui tendent à légitimer les politiques néolibérales de configuration du secteur et qui se présentent notamment sous la forme de débats théoriques institutionnalisés sur les lois économiques et les politiques publiques (ce sera aussi l’objet de certains travaux de Pierre Bourdieu dénonçant les catégories économiques comme inadéquates et politiquement dangereuses quand elles sont utilisées pour décrire le monde social – Steiner, 2008). L’autre versant de cette critique a pour objet, et de façon analogue à la démarche marxienne (i.e.en tant que pensée intervenante – Brecht, 1970), de lutter concrètement contre l’organisation capitaliste de la production-diffusion-réception culturelle et médiatique (actions pratiques visant à réformer le « système »), notamment en tâchant de réduire la distance existant entre les chercheurs, les professionnels et les usagers de la culture et des médias, et donc en tentant avec plus ou moins de réussite, de concilier recherches scientifiques et demandes des secteurs professionnels et populaires. Ces deux pans – faire de la production théorique idéelle (un virtuel critique) un élément de la transformation sociale (un actuel critique), mais également faire des exigences de la pratique sociale la boussole de la production théorique– sont d’ailleurs d’autant plus liés que l’objet même de l’ EPC tient tout à la fois aux aspects « infrastructurels » que « superstructurels » et redouble ainsi, en quelque sorte, l’intérêt pour l’un des apports centraux de Marx, à savoir que « toute société déploie également un certain système de représentations (une idéologie) qui accompagne le fonctionnement de ce domaine, pour l’aider à fonctionner, lui donner du sens et le légitimer » (Sobel, 2016 : 69). Sous cet aspect, l’agrégat culture-médias-communication décrit un double front de la lutte idéologique puisqu’il se trouve au carrefour d’une production scientifiqueetd’une production culturelle et médiatique qui tendent, chacune à leur manière et dans leur domaine propre – tout en s’accompagnant de nombreuses pratiques collusoires – à porter les intérêts de l’ordre capitaliste auxquels il s’agit donc de s’opposer, tant théoriquement que pratiquement. Car « résoudre les antinomies n’est pas la tâche de la seule connaissance, mais une ‘‘tâche réelle de l’existence’’ » (Rubel in Marx, 1968c : lxv).

Chez Marx, la critique de l’économie politique se mâtine également d’une autre nécessité qui tient au dépassement de l’économie politique stricto sensu, fut-elle critique, par l’application d’une volonté scientifique totalisante qui ne saurait oublier l’inséparabilité de l’économique et du social. La méthode sur laquelle il fait fond relève fondamentalement d’une philosophie de l’histoire englobante – pour certains d’une théorie sociale – qui ne se résout pas au découpage en pré-carrés de la connaissance scientifique. De fait, pour le matérialisme historique, il s’agit de saisir les faits dans l’ensemble de leurs conditions concrètes réelles, d’en « proposer une analyse multicausale » et de saisir « les déterminismes économiques entr[a]nt en action réciproque avec d’autres facteurs : facteurs de classe, facteurs idéologiques, facteurs agissant sur l’intensité des luttes de classe, évolution des rapports de force à l’échelle nationale et internationale, etc. » (Renault, 2014 : 144). Le capital, en tant qu’il est un ensemble de rapports sociaux, à la fois cause et conséquence d’un mouvement historique contradictoire, doit être saisi dans toute sa complexité. Vent debout contre l’idéalisme, la pure spéculation, la réduction « de toute chose à l’état de catégorie logique », et la « pensée qui se meut à l’intérieur d’elle-même » (Lefebvre, 1990 : 13), Marx entend mobiliser une pensée de nature dialectique, présente chez Hegel, mais sous une forme « mystifiée » – tête en bas. C’est à l’occasion des copieux travaux préalables à sa Critique de l’économie politique qu’il va ainsi faire se rencontrer l’économie politique, le matérialisme historique et la dialectique, à mille lieues du réductionnisme faisant de la superstructure une simple déclinaison de la base économique et que ses détracteurs paresseux lui prêtent généralement :

« Les rapports économiques ne sont pas les seuls rapports ; ce sont les plus simples, ceux que l’on retrouve comme ‘‘moments’’ des rapports complexes. D’après l’interprétation courante, le matérialisme dialectique considère les idées, les institutions, les cultures – la conscience – comme une construction légère et sans importance sur une substance économique seule solide. Le véritable matérialisme est tout différent. Il détermine les rapports pratiques inhérents à toute existence humaine organisée et les étudie en tant que conditions concrètes d’existence des styles de vie, des cultures. Les rapports, moments et catégories simples sont impliqués – historiquement et méthodologiquement – dans les déterminations plus riches et plus complexes, mais ne les épuisent pas. Le contenu donné est toujours une totalité concrète. Ce contenu complexe de la vie et de la conscience est la véritable réalité qu’il s’agit d’atteindre et d’élucider. Le matérialisme dialectique n’est pas un économisme. Il analyse les rapports puis les réintègre dans le mouvement total » (Lefebvre, 1990 : 66-67).

La méthode de Marx se fonde donc sur une dialectique fondamentale des forces productiveset des rapports de production, mais aussi sur cette autre dialectique qui fait se rencontrer ce premier lien de réciprocité avec une autre forme de récursivité liée à la superstructure juridique et politiqueet aux formes de conscience que les individus peuvent en avoir (Duménil, 2014 : 200). La dialectique marxienne se présente alors comme un « matérialisme pratique qui vise à expliquer historiquement comment les formes de conscience sont liées dialectiquement avec l’objectivité sociale » (Ouellet, 2016 : 169). Pour autant, il ne s’agit pas d’une condamnation, tant s’en faut, de l’abstraction qui reste, pour Marx, la possibilité de la connaissance véritable du réel à condition que les concepts soient fondés sur des contenus concrets et ne soient pas seulement les produits d’un « mysticisme logique » : « Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme » (Marx dans une lettre écrite en 1873 à un critique russe, in Korsch, 1979 : 48).Un passage bien connu de l’Introduction à la critique de l’économie politique des Grundrisse est à cet égard des plus éclairants : 

« Le concret est concret parce qu’il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la diversité. C’est pourquoi le concret apparaît dans la pensée comme le processus de synthèse, comme résultat, non comme un point de départ, quoiqu’il constitue le véritable point de départ et par la suite aussi le point de départ de la perception et de la représentation. Dans la première méthode [spéculative], la représentation pleine est volatilisée en une détermination abstraite ; dans la seconde, les déterminations abstraites conduisent à la reproduction du concret par la voie de la pensée. C’est ainsi que Hegel donna dans l’illusion de concevoir le réel comme le résultat de la pensée qui se résorbe en soi, s’approfondit en soi, se meut par soi-même, tandis que la méthode de s’élever de l’abstrait au concret n’est que la manière de procéder de la pensée pour s’approprier le concret, pour le reproduire en tant que concret pensé. Mais ce n’est nullement là le processus de la genèse du concret lui-même. La plus simple catégorie économique, mettons la valeur d’échange, suppose une population produisant dans des conditions déterminées et aussi un certain genre de familles ou de communautés, ou d’État. Elle ne peut jamais exister autrement que comme rapport unilatéral, abstrait d’un ensemble concret et vivant déjà donné. Comme catégorie, en revanche, la valeur d’échange mène une existence antédiluvienne. Donc, pour la conscience – et la conscience philosophique est ainsi déterminée que, pour elle, la pensée qui conçoit c’est l’homme réel et le réel c’est le monde une fois conçu comme tel – pour la conscience donc, le mouvement des catégories lui apparaît comme le véritable acte de production (lequel, c’est bien ennuyeux, ne reçoit l’impulsion que du dehors) dont le résultat est le monde ; cela est exact (mais ce n’est qu’une autre tautologie) dans la mesure où la totalité concrète, en tant que totalité pensée, concret pensé, est un produit de la pensée, de l’acte de concevoir ; il n’est donc nullement le produit du concept qui s’engendrerait lui-même, qui penserait en dehors et au-dessus de la perception et de la représentation, mais un produit de l’élaboration des perceptions et des représentations en concepts. La totalité, telle qu’elle apparaît dans la tête comme un tout pensé, est un produit du cerveau pensant, qui s’approprie le monde de la seule manière qui diffère de l’appropriation de ce monde dans l’art, la religion, l’esprit pratique » (Marx, 2009 : 190-191).

Pour Marx, la démarche dialectique se fonde ainsi sur un concret conceptualisé (« pensé » ou « de pensée ») invitant à la production d’autres concepts qui, en lien les uns avec les autres, dessinent un modèle d’analyse non fixiste, censé pouvoir rendre compte de la totalité organisée de la réalité concrète étudiée – en cela, pour François Châtelet, la critique de l’économie politique a ouvert la voie à nos actuelles sciences sociales (1975 : 74). Autrement dit, la dialectique marxienne vise à constituer le point de vue de la totalité concrète en établissant l’analyse de faits dont il est nécessaire de considérer qu’ils « portent en eux la structure du tout, c’est-à-dire la structure des rapports sociaux dominants » (Brohm, 2003 : 221).

« La perte de la totalité de la connaissance signifie cependant que la réalité ne peut être saisie de façon adéquate dans son véritable mouvement. Les différents moments de la vie sociale prennent ainsi la forme de faits partiels, de choses indépendantes qui ne peuvent être reliées entre elles que par la réflexion. Ils apparaissent ainsi comme des entités suprahistoriques et sont saisis de manière figée au lieu d’être compris dans leur flux ininterrompu. Et ils perdent de même leur place dans la totalité sociale et sont saisis comme des faits isolés, sous forme d’objectivité, non pas comme des rapports mouvants – en termes hégéliens comme Substance et non comme Sujet. Marx demande au contraire que l’objet, la réalité, ne soient pas saisis seulement sous la forme d’objet, ou d’intuition, mais comme une activité humaine, sensible, concrète et qu’ils soient bouleversés par l’activité pratique-critique. Seule l’application de la catégorie de la totalité concrète permet une telle conception. Mais c’est précisément dans l’absence d’une telle façon de voir que réside l’essence de la structure réifiée de la pensée. C’est d’une telle structure que résulta par conséquent la fausse conscience, l’idéologie » (Jakubowski, 1971 : 163).

À l’instar de la critique de l’économie politique marxienne portant donc « une théorie-praxis unitaire, globale, qui s’approprie la totalité de la réalité historico-sociale sans se fragmenter dans les différentes sciences sectorielles réifiées» (Brohm, 1974 : 38), certains secteurs de l’EPC vont aussi considérer la nécessité de se constituer en science synthétique, historique et sociale. Ce geste intégrateur permet de saisir les faits sociaux de communication dans une perspective qui n’isole pas « le culturel » (culturalisme) et « le médiatique » (médiacentrisme) du contexte social plus large (l’unité du multiple) dont ils participent. Par-là, il s’agit de lutter contre la tendance des régions épistémologiques à s’autonomiser au point de perdre le « sens des totalités sociales et des liens d’interdépendance qui existent entre des domaines différents de la pratique » (Lahire, 2012 : 322). S’appuyer sur une démarche dialectique, c’est en effet se donner les moyens de saisir les faits étudiés non pas comme des entités statiques, naturelles et indépendantes (comme s’y résigne l’économie politique classique dont Marx conduit la critique), mais bien comme des réalités systémiques en mouvement : « La dialectique restructure notre pensée de la réalité en remplaçant notre notion de ‘‘chose’’ issue du sens commun, selon lequel une chose une histoire et ades relations externes avec d’autres choses, par la notion de ‘‘processus’’, qui contient sa propre histoire et ses futurs possibles, et par celle de ‘‘relation’’, qui contient comme partie intégrante de ce qu’elle est ses liens avec d’autres relations » (Löwy in Ollman, 2005 : 24). 

Aussi s’agit-il, pour l’EPC, de dévoiler la genèse du mode capitaliste de production de la culture et de la communication en lien avec la logique structurale du système de domination et de la reproduction d’ensemble. À l’instar de la proposition d’Armand Mattelart (2015a), avancer l’existence d’un mode de production de la communication (Marx et Engels affirment dans le Manifeste que la bourgeoisie est aussi le produit de révolutions dans les modes de production et de communication), c’est se donner les moyens de relier les « faits communicationnels » à la totalité sociale et, ainsi, de pouvoir envisager le rôle qu’ils jouent dans la structure des rapports sociaux, ainsi que la manière dont ils sont amenés à évoluer en fonction des contradictions du capital et des affrontements de classes. À partir des années 1960, aux États-Unis, des chercheurs comme Herbert Schiller, Dallas Smythe ou encore Thomas Guback vont ainsi démonter les mécanismes de pouvoir, de domination politico-économique et de contrôle social qui se ramifient à l’échelle internationale. Schiller (1969) produit sa première étude sur l’internationalisation de la communication et ses liens avec le complexe militaro-industriel ; Guback (1969) mène quant à lui une recherche sur l’industrie cinématographique hollywoodienne et ses réseaux de distribution transnationaux. Parallèlement, en Grande-Bretagne (Halloran, 1963 ; Murdock, Golding, 1973 et 1977 ; Garnham, 1979) et en Amérique latine (Diaz Rangel, 1967 ; Beltran, 1970 ; Muraro, 1973), se développent également des recherches fondées sur des approches ayant pour préoccupation les phénomènes d’internationalisation des industries de la culture et de la communication. Outre les perspectives matérialistes que partagent ces chercheurs, leurs travaux s’accordent aussi en ce qu’ils reposent sur des enquêtes empiriques particulièrement bien informées. Celles-ci s’appuient sur une variété de sources documentaires issues des industries et des instances gouvernementales, servant à retracer les structures et les dynamiques relatives à l’essor de la communication de masse et du projet de son expansion sans frontières. 

De la critique de l’industrie culturelle à la critique au sein de l’industrie culturelle

De la même façon que Marx considère que « la production est directement consommation et la consommation directement production » (1968a : 44), les meilleurs travaux de l’EPC vont montrer que les technologies médiatiques et les champs de production culturels qui les organisent pour une large part sont devenus des rouages indispensables aux réseaux d’ajustement économique et configurent les modalités de consommation-réception des produits qu’ils proposent. Les médias ont, de facto, le pouvoir de fixer les cadres interprétatifs par le biais desquels se structurent les attentions et éventuellement les débats et, par-là même, les représentations collectives. Ils sont des opérateurs de légitimation, des espèces de « tribunaux des mots et des idées [qui] n’instruisent que des procès de connivence » (Beaud, 1984 : 292). Non seulement les moyens de communication (et de transport) sont « des sphères de la valorisation d’un travail exploité par le capital » (Marx, 1968b : 34) en assurant notamment la circulation des produits, mais les industries culturelles et médiatiques sont aussi des dispositifs de production capitalistes à part entière (elles produisent des marchandises). De surcroît, si elles sont pourvoyeuses de discours de mise en acceptabilité, d’idéalités et d’« illusions pratiques », elles sont également des pièces essentielles aux procès d’abstraction des rapports sociaux : « la production est l’intermédiaire de la consommation en créant son objet et en le lui assignant, mais à son tour, la consommation est l’intermédiaire de la production en procurant à ses produits le sujet pour lequel ils deviennent produits » (Marx, 1968b : 44). L’EPC va donc s’efforcer de faire fond sur un matérialisme visant à considérer les processus de la vie sociale, culturelle et politique comme en relation étroite avec les conditions matérielles de vie propres à une période et à une formation sociale données. Au sein, par exemple, des travaux d’Yves de la Haye – chercheur français qui aurait sans aucun doute mérité une entrée que nous n’avons pu lui offrir –, les moyens de communication sont à cet égard appréhendés comme des éléments essentiels dans la configuration des forces productives, des procès de production/circulation, des rapports sociaux et dans le renouvellement de l’idéologie bourgeoise. Ceux-ci « ne sont pas seulement une catégorie à l’intérieur des forces productives : ils trament et constituent des rapports de production, ils maintiennent et affermissent les conditions générales et particulières de la sphère productrice […], [mais ils sont aussi les] facteurs de constitution d’une autre personnalité sociale, c’est-à-dire d’autres sensibilités, d’autres intérêts, d’autres modes d’appartenance au monde, etc. » (la Haye, 1984 : 36-37). Les industries culturelles et médiatiques sont des réseaux d’ajustement existentielqui n’agissent pas seulement dans le domaine du discursif et du symbolique, mais se présentent également, dans le secteur de la consommation et, plus largement, dans le domaine afférent de la reproduction sociale, comme des agents pratiques de guidage des conduites et de mise en forme des usages : « L’activité sociale ‘‘communication’’ comprend l’ensemble des formes sous lesquelles s’expriment, se matérialisent en se modifiant les rapports sociaux » (la Haye, 1984 : 60). 

En cela, et comme le révèlent certains des chapitres du présent ouvrage, une partie du domaine, en plus de s’appuyer sur le matérialisme marxien, fait également fond sur un certain nombre de thèmes de la Théorie critique de l’École de Francfort (quoique de manière souvent mal assumée – Magis, 2016). Outre que l’analyse de cette spécificité de la production de culture, d’information ou de communication, qui la place à l’intersection d’enjeux économiques et idéologiques, fait l’objet du concept francfortien d’industrie culturelle, des réflexions plus récentes sur la marchandisation du savoir ou les nouvelles formes de subjectivités associées aux plates-formes en ligne font retrouver un certain nombre de thématiques chères à Max Horkheimer, Herbert Marcuse ou Theodor Adorno (Fuchs, 2016). Ce dernier, qui a, lors de la période américaine de l’Institut für Sozialforschung, notamment travaillé sur un ensemble d’objets sociaux de la culture de masse (radio, télévision, jazz et musique populaire, cinéma, rubriques astrologiques, etc.), est d’ailleurs vu par certains commentateurs comme « un fondateur » de l’économie politique de la communication (Babe, 2009 : 18). Pour ces commentateurs, Adorno a développé « l’une des premières critiques de l’économie politique de l’industrie culturelle, à partir des travaux de Marx sur les modes capitalistes de production et sur la forme marchandise » (Cook, 1996 : xiii).

Depuis le chapitre théorique central de la Dialectique de la Raison, coécrit avec Horkheimer en 1947, jusqu’aux travaux les plus spécialisés sur des secteurs divers de la production industrialisée des biens culturels, les propositions d’Adorno s’inscrivent, en effet, dans un prolongement de la théorie marxiste de la marchandise et de l’aliénation, dans le cadre du mode de production capitaliste, notamment dans sa phase monopoliste. Dans un article publié même avant le chapitre bien connu sur l’industrie culturelle, Adorno analyse le développement du thème du fétichisme de la marchandise dans la production musicale. Alors que le capital industriel étend son emprise vers le domaine de la culture – qui, jusqu’alors, lui avait échappé –, la nécessité réitérée du succès et du retour sur investissement tend à modifier la structure même des œuvres. Il en découle une contradiction entre leur caractère culturel (volontairement maintenu pour des raisons d’affichage) et leur standardisation, contradiction fondamentale d’une critique de l’économie politique des marchandises culturelles que l’oxymore « industrie culturelle » aura pour but de signifier :

« À vrai dire, la valeur d’échange s’impose d’une façon particulière dans le domaine des marchandises culturelles. Car ce domaine apparaît précisément dans le monde des marchandises comme étranger aux contraintes de l’échange, comme un domaine dans lequel il n’y a de rapport qu’immédiat avec les marchandises. C’est pourtant à cette seule illusion que les marchandises culturelles doivent leur valeur d’échange » (Adorno, 2001 : 30).

C’est bien ici que réside le « secret » des marchandises (au sens marxien) lorsqu’elles sont culturelles ou médiatiques. Dans leur incorporation affichée d’une valeur intellectuelle supérieure par laquelle l’individu peut communier avec le social et prendre ainsi conscience de son être-au-monde, elles se présentent par essence comme opposées aux tendances les plus réifiantes du caractère administré de la société et deviennent idéologiques lorsque la recherche de rentabilité les condamne à n’être qu’une redite de la machinerie économique. L’industrie culturelle jouit de ce qu’elle ne réduit jamais tout à fait son objet à la dimension humdrum du non-culturel, duquel pourtant, toute la structure de production le rapproche, c’est là son idéologie :

« Si les avocats de l’industrie culturelle opposent à ce que nous venons de dire, qu’elle ne prétend pas à l’art, alors c’est encore une fois de l’idéologie. Aucune infamie ne s’amende parce qu’elle se déclare telle. Même le plus piètre film à grand spectacle ou à l’eau de rose se présente objectivement selon sa propre apparence comme s’il était une œuvre d’art. Il faut le confronter avec cette prétention et non avec la mauvaise intention de ceux qui en sont responsables » (Adorno, 1964 : 131).

On retrouve, là, l’un des thèmes centraux de l’économie politique de la communication quand elle s’intéresse à la question de concentration dans les industries médiatiques : la promesse d’une production intellectuelle en régime capitaliste n’est en réalité jamais tenue, et c’est bien à cette prétention, sur laquelle s’appuie une partie essentielle du catéchisme justifiant le maintien de l’organisation capitalistique de la production, qu’il convient de se confronter (McChesney, 2008 ; Birkibine, Gómez, Wasko, 2016). 

Certes, il faut reconnaître que, dans le manuscrit final de l’ouvrage co-écrit avec Horkheimer, les termes qui étaient, dans les premières versions, les plus manifestement empruntés au vocabulaire de la critique marxiste, ont été remplacés par des expressions plus neutres : « Par exemple, “prolétaires” a été remplacé par “travailleurs”, “capitaliste” par “entrepreneur”, “tout au long de l’histoire des classes” par “jusqu’à aujourd’hui”, “exploitation” par “souffrance”. Plus de la moitié de ces reformulations concernent un seul concept, celui de “monopole” (et […] la grande majorité de ces cas se trouve dans le chapitre sur l’“industrie culturelle”) » (Noerr, 2002 : 239). Les raisons de ces reformulations, qui deviendront, dans certains travaux ultérieurs, une habitude d’écriture, doivent à la fois être cherchées dans la nécessité « d’éviter de se faire des ennemis politiques, ce qui aurait pu avoir des conséquences menaçantes sur l’Institut ou sur ses membres individuels » (Noerr, 2002 : 239), que ce soit dans l’Amérique où les philosophes ont trouvé refuge ou dans l’Allemagne d’après-Guerre, ainsi que dans une volonté de s’éloigner des termes de la théorie marxiste telle qu’elle sévissait alors dans le stalinisme et l’État soviétique totalitaire (Horkheimer, 1942). Tous ces déplacements sont néanmoins pensés dans leur mouvement historique et intégrés à l’analyse de la production de culture. De telles propositions sont d’ailleurs centrales à un certain nombre de travaux de l’EPC, y compris lorsque le caractère plus marxiste des catégories de ces derniers se voit davantage marqué.

À ce propos, il faut aussi mettre en avant, notamment durant sa période américaine, la proximité intellectuelle d’Adorno, tant avec les producteurs californiens de la télévision et du cinéma qu’avec les sociologues, économistes politiques et autres intellectuels travaillant sur la production culturelle industrialisée (Jenemann, 2007). À cet égard, on trouve par exemple, dans les archives du philosophe, la trace d’une correspondance avec Dallas Smythe, l’un des pionniers de la critique de l’économie politique de la communication nord-américaine, dans laquelle les deux hommes affirment leurs affinités théorétiques – rappelons qu’à l’époque, les deux chercheurs travaillent à une analyse des contenus médiatiques à partir des catégories marxistes. Ainsi, à la suite d’un workshopsur la télévision ayant eu lieu à la University of Southern California en 1953, peu avant le retour définitif d’Adorno en Allemagne, celui-ci écrit à Smythe :

« Je voudrais vous faire savoir qu’en plein dans la tourmente de notre déménagement, j’ai tout de même trouvé le temps de lire votre article et que je suis très contenté par tout ce que vous y dites. En fait, la similarité entre votre point de vue et l’article ronéotypé que je vous ai envoyé est frappante ! Je dois dire que j’ai rarement rencontré quelqu’un avec lequel je me sois à ce point senti en parfait accord sur les questions les plus fondamentales, et le fait que nous nous rencontrions si tardivement est une des choses qui m’attristent beaucoup au moment de mon départ. Tout se serait peut-être passé différemment si nous nous étions rencontrés plus tôt » (Lettre d’Adorno à Smythe datée du 14 août 1953 — Archives Adorno, TWAA Br_1440/1).

On peut en effet regretter que cette rencontre trop tardive n’ait pu donner lieu à des travaux collectifs. Ce qui a été conservé de la correspondance laisse uniquement entrevoir, par la suite, des tentatives conjointes, par chacun, de faire connaître les travaux de l’autre dans leurs espaces académiques nationaux respectifs. Dans la décennie suivante, Adorno s’occupera de tirer les conséquences du concept d’industrie culturelle davantage sur le plan de l’analyse philosophique et dans un sauvetage des catégories des Lumières dans leur ensemble, notamment par un retour à Hegel et un questionnement philosophique de la catégorie de praxis (Adorno, 1995 ; 2003a/b/c). Quant à Smythe, il se concentrera davantage sur l’incidence des évolutions de l’industrie culturelle (et notamment télévisuelle) sur la modification des catégories économiques dans une veine de plus en plus ouvertement centrée sur la critique marxiste de l’économie politique (1977 ; 1981). C’est probablement de là, d’ailleurs, que vient une difficulté récurrente de reconnaître l’héritage adornien de l’EPC. Les derniers travaux du philosophe allemand sont par trop spéculatifs pour donner quelque prise à une réflexion socio-économique sur les mutations des productions culturelles, surtout à un moment où les recherches sur les médias feront la part belle à un « oubli de l’économie » (Mattelart, Mattelart, 1986 : 31-36), notamment inspiré des travaux de la « French Theory », menant au tournant acritique du postmodernisme. Ce qu’on considère aujourd’hui comme entrant dans le champ de l’EPC, tient à l’ensemble des travaux qui se sont donné pour objectif, à partir des années 1970 et dans différents pays, de remettre au jour une analyse économique matérialiste des médias (Wasko, 2005), d’où une position ambiguë dans le corpus, des travaux d’Adorno – et a fortioride l’École de Francfort. Mais, et même s’il faut reconnaître que cet héritage s’est fait de manière indirecte, il n’en demeure pas moins que l’importance donnée par certaines politiques publiques à la thématique des « industries culturelles » a mobilisé un grand nombre d’auteurs présentés dans les pages qui suivent, notamment à leurs débuts. Ce legs a également été l’occasion, pour certains d’entre eux et quelque peu « par la force des choses », d’une réflexion sur les travaux de l’École de Francfort et de nouvelles traductions (Curran, Gurevitch, Wollacott, 1977), ainsi que de tentatives de reconceptualisation (Garnham, 1979 ; Lacroix, 1986).

Toutefois, et à la suite d’Armand et de Michèle Mattelart (1979 : 119), il est possible de se demander si cette réintégration de la thématique des « industries culturelles », voire de la critique de l’économie politique de la communication dans les débats et politiques publiques à partir des années 1970 (i.e. du début de la crise du capitalisme industriel et de la réorientation vers une économie « de la culture », « de l’information » et « des services ») n’a pas aussi été le lieu d’une neutralisation des ferments les plus critiques. Force est de reconnaître, en tout cas, que la EPCa pu connaître dans son ensemble, et même chez les figures s’affichant pourtant comme critiques, quelque essoufflement quant à la radicalité de ses perspectives. Il nous semble que l’hypothèse principale que l’on peut avancer, en poussant la lecture des Mattelart, concerne le rapport de l’approche à l’institution universitaire. En effet, les apports les plus critiques au courant de la EPCont été grandement maintenus en marge des institutions ou des centres de la production intellectuelle. Dans un article sur Dallas Smythe, Janet Wasko (1993) rappelle ainsi combien celui-ci ne développe une critique de l’économie politique de la communication ancrée dans un cadre ouvertement marxiste qu’aprèsavoir quitté les États-Unis et s’être installé au Canada. Armand Mattelart qui, pour sa part, a beaucoup contribué à poser les bases d’une critique marxiste de la communication (Mattelart, 1976 ; Mattelart, Siegelaub, 1979) n’a, de son côté, obtenu que très tard un poste de professeur titulaire à l’université en France (Mattelart, 2014). Dans les années 1980 et surtout 1990, en parallèle de l’institutionnalisation des études de communication dans la plupart des pays, la thématique du cultural turn, celles de l’ouverture des monopoles médiatiques et de la concentration, de l’informatisation croissante de la société ou celle encore de la convergence ont tendu à centrer la majorité des débats, notamment en Europe et en Amérique du Nord, sur les questions d’asymétrie de pouvoir et de principe de concentration dans le capitalisme, à l’extérieur de tout cadre d’analyse proprement marxiste et dans une veine que l’on pourrait qualifier de « réformiste ». Les actes du colloque « Médias et Communication en Europe », rassemblés en 1990 dans un ouvrage sous la direction de Bernard Miège, en sont un exemple éclairant pour le cas français. L’ouvrage, maintes fois réédité de Ben Bagdikian sur les Monopoles médiatiques (1983) constitue pour sa part un exemple américain.

Et s’il faut constater, aujourd’hui, que le regain actuel de la critique « marxiste et néo-marxiste » dans les sciences sociales en général embrasse aussi l’économie politique de la communication, qui se met à redécouvrir et mettre en avant son rapport aux théories marxistes (Fuchs, 2014 ; 2015 ; Mosco, Fuchs, 2012 ; 2016), cette « redécouverte » prend quelquefois moins la forme d’un programme solide de travail que celle d’une distinction académique et d’un marqueur identitaire d’appartenance à une communauté critique. À l’heure où les sphères de l’enseignement supérieur et de la recherche sont elles-mêmes rattrapées par la logique de l’industrie culturelle et des relations publiques et où « il est possible […] qu’une logique de “niche” pédagogique dans un contexte de concurrence accrue entre universités se mette en place » (Keucheyan, 2011), la critique semble cantonnée à devenir une « trademark de l’industrie », à l’image de n’importe quelle autre image de la culture, comme dirait Horkheimer (2009 : 42). C’est toutefois dans le cadre de cette logique que peuvent désormais, tout de même, exister des lectures, propositions et apports contradictoires, et c’est à cet édifice que le présent ouvrage voudrait modestement apporter sa pierre.

Une cartographie des traditions ?

Par ailleurs, malgré plusieurs thèmes globalement communs, force est de constater un certain nombre de divergences (d’inscription théorique ou empirique), liées tant aux environnements académiques régionaux ou nationaux qu’à des inscriptions dans des temporalités et climats de recherche différents, également en rapport avec des agendas personnels et des trajectoires de recherche variées. C’est bien là le principal écueil sur lequel ne peut manquer de buter n’importe quelle présentation des différentes traditions internes du courant de l’EPC. Nous commencions cette introduction en rappelant le caractère quelque peu artificiel et caricatural de la plupart des présentations des différentes traditions de l’approche. En général, on fait exister une démarcation entre une tradition « américaine » et une tradition « européenne », comme par exemple chez Hesmondhalgh, la première s’intéressant davantage à l’étude « de la croissance de la richesse et de la puissance des industries médiatiques et la documentation de leurs liens avec des alliés économiques et politiques » (2013 : 35), la seconde plus attentive à la « complexité » des industries culturelles, et à leurs « contradictions ». Sur un modèle de cartographie comparable, Mosco (2000 : 96) ajoute également que la tradition européenne est principalement tournée vers la recherche d’une montée en généralité théorique à partir de cadres théoriques « néo-marxistes » quand la tradition américaine, moins théorique, est historiquement davantage liée aux luttes contre les médias hégémoniques. Et en ajout de ces deux traditions, il en identifie une troisième qui concernerait « les recherches menées dans le Tiers-Monde ». Au sein de ces dernières, il estime :

« [qu’]un courant majeur s’est constitué en réaction à la modernisation et en tant qu’approche favorable au développement en Occident et plus particulièrement aux États-Unis. Cette approche se proposait d’englober la communication dans un modèle explicatif lié aux courants intellectuels et politiques dominants. Elle soutenait que les moyens de communication étaient des ressources qui, en lien avec l’urbanisation, l’éducation et d’autres progrès sociaux, pouvaient stimuler une modernisation progressive dans les champs économique, social et culturel. L’essor des moyens de communication était en conséquence perçu comme un signe de développement. En s’inspirant à tour de rôle de la dépendance, des systèmes mondiaux et d’autres courants de l’économie politique internationale d’inspiration néo-marxiste, les spécialistes en économie politique originaires du Tiers-Monde ont remis en cause les principes fondamentaux de cette thèse. Ils ont en particulier stigmatisé son déterminisme technologique et l’absence quasi totale d’intérêt pour les relations de pouvoir régissant les rapports entre pays développés et pays du Tiers-Monde, de même que celles qui unissent ou séparent les diverses couches sociales entre ces deux entités et au sein de chacune » (Mosco, 2000 : 98). 

Mais il s’avère bien difficile de ne pas identifier aussi, parmi les tenants de cette critique, des chercheurs issus des pays du Nord. Du reste, les travaux que l’auteur cite à l’appui de sa démonstration sont bien loin de représenter la totalité du Tiers-Monde (mais principalement quelques auteurs d’Amérique du Sud). Sans compter qu’une telle cartographie comporte un risque d’essentialisation : doit-on par exemple considérer Daya Kishan Thussu comme représentant ces approches issues du Tiers-Monde quand, bien que d’origine indienne et intéressée par les enjeux de la globalisation des systèmes de communication, la totalité de sa formation et de sa carrière universitaire a eu lieu en Grande-Bretagne ? Armand Mattelart, chercheur belge formé à Bruxelles et à Paris, mais dont la carrière commence en Amérique du Sud pour se terminer en France, compte-t-il pour le Tiers-Monde également ? Cela ferait sens au regard de certains des ouvrages qu’il a écrit, notamment dans sa période chilienne, ainsi que dans les années qui suivront (Mattelart 2015a/b/c), mais la chose semble davantage discutable s’agissant de sa production plus tardive, dès lors qu’il épouse une carrière universitaire en France. Enfin, comme nous le verrons dans le chapitre sur Harold Innis, être ressortissant et faire sa carrière dans un pays du Nord (le Canada) ne suffit pas toujours à éviter qu’un certain nombre des problématiques impérialistes vous incombent, notamment en rapport avec la science économique dominante pensée par et pour les États-Unis et « exportée » pour leur bénéfice vers un pays à sa périphérie. Si un principe de présentation géographique simplifie l’organisation d’une anthologie, il faut toutefois bien se garder d’en tirer des conclusions d’ordre épistémologique.

Cinq volets pour saisir les développements d’une EPC critique

C’est pour dépasser cette tripartition géographique qui peut déboucher sur des classifications parfois arbitraires et qui rend difficilement compte de l’éclectisme des approches de l’EPC et de ses objets de recherche que l’ouvrage a été organisé en cinq parties. Ce découpage illustre la façon dont l’économie politique de la communication et de la culture s’est construite et disséminée dans différents contextes socio-politiques et à partir de traditions académiques et disciplinaires diverses. 

La première intitulée « Initiateurs nord-américains » porte sur trois des précurseurs d’une critique de l’économie politique de la communication en Amérique du Nord. On lira avec intérêt le texte de Robert Babe sur Harold Innis, sans doute l’une des figures les plus atypiques et visionnaires d’une approche hétérodoxe des moyens de communication à partir du terrain particulier qu’est le Canada. On sait qu’Innis a inspiré Marshall McLuhan qui en a cependant fait une lecture purement techno-déterminée. Là où le premier a été peu traduit et a été malheureusement ignoré, voire oublié par la communauté académique, le second a été très (trop) largement médiatisé au point de devenir une sorte de prophète du new agetechnologique. Pourtant, les travaux d’Innis proposent une vision autrement construite, documentée et argumentée autour du postulat qu’aucun moyen de communication n’est neutre. Sa théorie du médium met l’accent sur les effets différenciés des moyens de communication en termes de pouvoir, de modes de pensée, d’interactions humaines et de configurations sociales, culturelles et politiques : certains médias structurent le temps (time bias) et d’autres l’espace (space bias) avec pour conséquence de privilégier dans le premier cas des institutions hiérarchisées et décentralisées et dans le second, la centralisation ainsi que des formes de gouvernement, d’administration et de commerce moins hiérarchiques. Mais surtout, l’épistémologie d’Innis repose sur une critique radicale de la pensée économique libérale dominante, dans un contexte de commerce international caractérisé par une extrême dépendance de la périphérie pauvre – ou en voie de développement – vis-à-vis du centre riche. C’est là qu’Innis postulera que le système des prix qui dirige les échanges constitue un médium d’information-communication à part entière. Ce faisant, la lecture d’Innis est essentielle de par son actualité et son herméneutique.

Comme le souligne Alix Bénistant, l’Américain Herbert I. Schiller est l’une des figures majeures de la génération des chercheurs nord-américains qui se sont consacrés à l’étude critique de la culture et des médias après la Seconde Guerre Mondiale. Se positionnant d’entrée de jeu contre la sociologie empirique et la recherche administrative portée aux États-Unis par Paul F. Lazarsfeld, Schiller analysera les médias et la culture au carrefour de l’économique et du politique. Intellectuel engagé œuvrant dans le climat délétère d’un Maccarthysme hostile aux courants néo-marxistes et d’une façon générale à toute approche critique, il est connu pour avoir popularisé le concept d’impérialisme culturel. Dès les années cinquante, le système de communication étasunien prend une ampleur considérable, non seulement avec le développement des médias audiovisuels et des télécommunications, mais également grâce aux formidables relais que constituent dans le monde les réseaux médiatiques mis en place par le complexe militaro-industriel, le département d’État et la United States Information Agency. Très tôt, les contenus médiatiques dans le secteur du divertissement comme de la propagande politique ou commerciale placent les Etats-Unis dans une position hégémonique diffusant massivement l’American Way of Life. C’est ce système asseyant la suprématie mondiale des États-Unis que Schiller va s’attacher à démonter, remettant en cause la détention de l’infrastructure communicationnelle par une coalition stratégique entre secteurs politique, économique, médiatique et militaire. Impérialisme culturel parce que les États-Unis utilisent les nouvelles technologies de communication pour s’assurer le leadership de la planète mais aussi tentent d’imposer la doctrine du free flow of information au sein des institutions internationales comme l’UNESCO. Herbert Schiller luttera bec et ongles contre cette doctrine reposant sur le projet mondial de modernisation des sociétés et appellera de ses vœux un Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication (NOMIC) dont le rapport McBride de 1980 sera l’expression. L’apport de Schiller est toujours d’actualité pour analyser les déséquilibres des flux informationnels et culturels entre pays du centre et ceux de la périphérie dans un monde où la communication régit toujours les logiques d’expansion du capitalisme.

Dallas W. Smythe est également l’un des pionniers de l’économie politique de la communication. Comme Schiller avec lequel il a travaillé, il a dû subir les pressions inquisitoriales du Maccarthysme qui l’ont amené à revenir avec sa famille au Canada. C’est comme chef économiste de l’instance américaine de régulation des télécommunications, la Federal Communication Commission, qu’il a débuté sa carrière américaine et s’est intéressé aux politiques publiques et à l’économie politique des communications. Participant du courant économique dit « institutionnaliste », il partage le postulat que le marché est une institution socio-historique et qu’à ce titre les politiques interventionnistes sont nécessaires pour partager les ressources. Maxime Ouellet présente dans son article le concept majeur forgé par Smythe, l’audience-marchandise [audience-commodity] : la spécificité des médias de masse est non pas de produire de contenus, mais de l’auditoire qui est vendue aux annonceurs œuvrant pour promouvoir les productions industrielles. Cette notion d’audience-marchandise, point aveugle du marxisme occidental selon la thèse de Smythe, gomme la distinction classique entre travail productif et travail improductif, entre temps de travail et temps de loisir ; elle est essentielle en ce que les individus-téléspectateurs fournissent un travail non-rémunéré aux annonceurs, participant de factoau fonctionnement du système capitaliste comme praticiens du consumérisme et en y intériorisant les valeurs économico-politiques. En tout cas, la thèse de Smythe a permis de lancer un débat critique fécond sur le rôle politico-économique des médias de masse, notamment pour ce qui touche au capitalisme informationnel.

La seconde partie « Institutionnalisation de l’économie politique de la communication » présente quatre auteurs qui ont contribué à donner sa légitimité scientifique à l’EPC, notamment dans le champ académique. Avec Armand Mattelart, c’est un itinéraire hors norme, entre deux mondes (l’Amérique latine et la France) que dresse Mariano Zarowksy, celle d’un intellectuel multiple et cosmopolite qui a réussi à tisser des relations entre des mondes sociaux aussi différents que ceux des mouvements sociaux populaires, des militants, des responsables politiques et des membres de la communauté académique internationale, mais aussi a créé des espaces d’échanges intellectuels (revues, programmes de recherche), a su articuler production théorique et expérience politique et sociale, notamment lors du gouvernement d’unité populaire d’Allende et enfin a contribué à l’émergence des études de communication tant au Chili, sa terre d’adoption, qu’en France. La démographie qui constitue la base de sa formation universitaire l’a amené très tôt à envisager les phénomènes de communication dans le cadre de l’internationalisation des systèmes d’échanges culturels. Pour Zarowksky, l’une des contributions fondatrices de Mattelart, co-éditée avec Seth Siegelaub, est l’anthologie en 2 volumes Communication and Class Strugglequi présente une collection de références théorico-conceptuelles et de travaux visant à poser les bases d’une analyse marxiste du fonctionnement et du rôle de la communication dans le capitalisme. Dans ce parcours d’intellectuel transnational, Mattelart n’aura de cesse de développer une théorie critique permettant de mettre en lumière les dynamiques et les tensions entre les processus locaux de résistance et les mécanismes d’internationalisation et d’homogénéisation de la production culturelle.

Nicholas Garnham est l’un des fondateurs des premiers départements de Media Studies, à l’Université de Westminster en Grande Bretagne, après avoir longtemps travaillé comme monteur réalisateur au British Film Institute et à la BBC. Très actif dans le mouvement socialiste britannique, sa contribution à une économie politique de la communication et de la culture s’inscrit dans la lignée matérialiste de Raymond Williams avec pour objectif de mettre en lumière la question marxiste du contrôle des moyens de production mentale. Envisageant l’industrialisation de la culture comme un processus graduel, paradoxal et non abouti au sein du capitalisme, il met l’accent sur la contradiction majeure de la marchandise culturelle qui, parce que l’une de ses valeurs d’usage repose sur la nouveauté et la différenciation, résiste de factoà l’homogénéisation. Attentif de par son parcours au rôle de l’État et des institutions publiques dans les politiques de valorisation des biens culturels, il reste très critique et pour le moins sceptique sur une rupture avec le capitalisme, le pouvoir politique abandonnant dès lors toute visée émancipatrice au secteur industriel dont il se fait l’instrument

En France, Bernard Miège a été un artisan essentiel de la reconnaissance académique et scientifique des sciences de l’information et de la communication à partir de 1975. C’est à l’Université de Grenoble – dont il a été le président pendant un mandat – qu’il a co-fondé et dirigé le GRESEC (Groupe de Recherche sur les Enjeux de la Communication) ainsi que la collection « Communication, médias & Sociétés » au sein des Presses Universitaires de Grenoble, qui ont publié nombre d’ouvrages de référence. Dans ses travaux, Miège s’est intéressé à la production des biens culturels et ce, en articulant les deux volets que sont le processus individuel et collectif de création de l’œuvre culturelle et sa reproduction matérielle. Dans cette analyse des industries culturelles, il s’agissait de comprendre les stratégies du capital pour produire de manière pérenne de la valeur d’échange à partir de la valeur d’usage des biens culturels, caractérisée par l’incertitude et l’aléatoire. Dans sa présentation de la contribution de Miège, Christophe Magis évoque le glissement sémantique du concept francfortien d’industrie culturelle vers une théorie des industries culturelles, pointant le manque d’investissement épistémologique sur le concept originel, donné comme allant de soi, là où une explicitation conceptuelle aurait été utile ainsi qu’un approfondissement théorique. C’est dans cette direction que Magis propose de poursuivre le travail de la théorie des industries culturelles, notamment afin de dépasser un certain nombre de limites que rencontre aujourd’hui, selon lui, l’apport fondamental de la proposition de Miège et de ses suiveurs : la méthodologie de la modélisation des logiques socio-économiques de la culture et de la communication.

Le nom d’Enrique Bustamante est familier au monde académique européen et latino-américain. Guillermo Mastrini analyse le parcours d’un intellectuel espagnol engagé à la fois comme journaliste et universitaire progressiste dans un moment politico-historique particulier qu’est le passage de la dictature franquiste à la transition démocratique. Ayant débuté comme journaliste, Bustamante a été très actif au sein de la gauche espagnole, participant à la création d’associations de presse et d’unions professionnelles. Cette expérience de 12 ans a eu une incidence importante sur son travail académique portant sur le fonctionnement des médias de communication de masse en démocratie. Dès la fin des années 70, il prendra contact avec la plupart des chercheurs qui, en Europe ou en Amérique Latine, envisage l’étude des moyens de communication dans leur contexte socio-politique et économique. La création de la revue Telos est l’occasion de poursuivre les échanges entre chercheurs, universitaires et professionnels ibéro-américains et auteurs anglo-saxons et français. Parallèlement, Bustamante a participé à la réforme de la télévision publique espagnole et reste préoccupé par la détérioration du service public, tant en termes de pluralisme que de viabilité économique. Ardent défenseur de l’université publique dont il pense qu’elle constitue le dernier bastion d’une pensée indépendante et critique, Bustamante déplore la paupérisation du travail intellectuel.

Une troisième partie propose quatre entrées autour des médias télévisés et de la publicité. On sait que les médias de masse ont très tôt suscité des interrogations quant à leur place et à leur rôle dans les sociétés, mais également quant à leurs relations avec les pouvoirs politiques et économiques. À cet égard, la publicité a constitué et constitue toujours le paradigme par excellence de structuration des systèmes de communication. Dans ce domaine, l’apport de Stuart Ewen est important et sans doute, comme le souligne David Buxton, le travail documenté d’historien social qu’il fournit, mérite d’être retraduit non à l’aune de la seule critique de l’avènement de la société de consommation, mais dans une problématique franchement marxienne. En effet, pour expliquer le processus de transition vers la production sérielle et la nécessité pour le capitalisme d’éviter d’accumuler des stocks d’invendus, et donc d’augmenter le nombre de consommateurs, Ewen analyse les mécanismes structurels d’une industrie publicitaire qui, sollicitant le consommateur dans son espace privé grâce aux médias comme la télévision, s’appropriant également les subjectivités humaines ou les subcultures pour mieux en détourner le sens, l’amène à intérioriser la publicité comme une chose naturelle. Dans sa démonstration, Buxton reprend la distinction que Marx opère entre subsomption formelle du travail au capital (où l’intégration marchande se fait dans un second temps avec par exemple la vente d’un travail produit artisanalement), et subsomption réelle quand le travail est directement intégré aux rapports de production capitalistes. Avec les médias de masse, la publicité diffusée en un flot ininterrompu est l’instrument d’une consommation s’imposant comme formellementsoumise au capital.

Le collectif britannique connu sous le nom de Glasgow University Media Group réunit un ensemble de chercheurs issus de diverses disciplines des sciences humaines et sociales. Le programme de recherche s’est focalisé sur la critique de l’information télévisée et s’est déployé sur le temps long – plus de quarante années – au cours desquelles les membres du groupe ont finement décrypté les contenus et images des journaux télévisés britanniques, mais aussi analysé les structures économiques et politiques de la production journalistique. Comme le souligne Jacques Guyot, ce travail de fourmi s’inscrit dans une démarche pluridisciplinaire, multifactorielle et multiscalaire où le travail d’analyse de contenu, la rhétorique journalistique, la sociologie des professionnels de l’information, l’approche socio-politique des relations entre médias, gouvernements, syndicats et entreprises, les focus groupsde récepteurs et l’économie politique de la communication sont mobilisés pour dresser un panorama documenté sur la production des nouvelles. Cette recherche au long cours débouche sur une critique radicale du fonctionnement de l’information télévisée : ce qui est remis en cause, c’est la notion même d’objectivité et d’impartialité de l’information, dogme puissant au sein des institutions télévisées britannique. Le GMUP a suscité dès lors de nombreux débats tant avec le milieu académique que journalistique. Les réflexions du groupe de Glasgow sont encore d’actualité à l’heure où la défiance du public à l’égard du milieu journalistique n’a jamais été forte.

James Curran est connu comme l’un des promoteurs de l’économie politique critique des médias et de la communication en Grande Bretagne, entre autres pour les travaux qu’il a menés avec Nicholas Garnham, Graham Murdoch ou encore Peter Golding. Mais Jonathan Hardy a choisi d’évoquer un autre volet de son activité scientifique, à savoir sa contribution significative à l’histoire des médias. Ainsi, dans son analyse économique et politique de la presse britannique, il a montré que si les systèmes de censure gouvernementale ont contribué à restreindre la liberté de la presse, c’est néanmoins son industrialisation et la concentration des titres dans les mains de quelques riches investisseurs qui ont stoppé net le développement d’un journalisme radical destiné à la classe ouvrière et d’une façon générale le pluralisme éditorial. Dans ce contexte, les annonceurs publicitaires ont accéléré le processus de marginalisation de la presse radicale populaire. Curran s’est également intéressé à la télévision, analysant le manque de soutien dont bénéficiaient les médias de service public comme la BBC face à la montée de l’antiétatisme libéral. Curran a également produit une analyse historique critique des mythes d’Internet portés par la nouvelle économie numérique. Enfin, ses travaux sur les rapports de pouvoir dans les médias l’ont amené à renouveler la tradition radicale de la critique des médias.

Formé au sein de la nouvelle gauche argentine, Heriberto Muraro s’inscrit dans une tradition de pensée critique latino-américaine et à ce titre a contribué à analyser les transformations du capitalisme dans son pays. Ayant travaillé une dizaine d’années dans le secteur du consulting, des études de marché et de la publicité, Muraro a acquis une connaissance concrète des systèmes de communication de masse que sa formation académique en sociologie lui a permis de formaliser et surtout, comme le remarque Mariano Zarowky, de vulgariser dans ses ouvrages et travaux scientifiques. Comme dans d’autres pays, le système des médias argentin est en grande partie financé par la publicité : les annonceurs cherchant à maximiser leurs investissements favorisent les médias à forte audience comme la télévision. Au final, l’industrie publicitaire accélère les phénomènes de concentration dans les médias, mais aussi l’arrivée de capitaux étrangers dans l’économie nationale. Sur ce dernier point, Muraro montre ainsi la spécificité du système télévisuel argentin où la prise d’intérêt s’est faite par le biais des industries de contenus généralement nord-américaines. Au final, l’économie politique de la communication permet à Muraro d’analyser le rôle que la dynamique des industries télévisée et publicitaire a joué dans les transformations des modes d’accumulation du capitalisme argentin.

La quatrième partie est consacrée aux « propositions actuelles » et s’intéresse à une nouvelle génération d’auteurs qui renouvellent les problématiques de l’économie politique de la communication dans un contexte de mutation rapide des industries culturelles. Jérémy Vachet ouvre cette partie avec un chapitre sur David Hesmondhalgh : le chercheur britannique s’est attaché à comprendre la complexité des industries culturelles, au pluriel car sous-tendues par des logiques diverses, ambivalentes et parfois concurrentes et évoluant entre changement et continuité. En cela, il s’inscrit dans les approches développées en Europe par Bernard Miège et Nicholas Garnham qui prennent en compte, d’une part, les producteurs et créateurs de symboles, et s’intéressent, d’autre part, aux relations dynamiques entre information et divertissement. Ses travaux d’économie politique de la musique ont analysé les rapports entre les labels indépendants et les majors de l’industrie, mettant en évidence la difficulté des premiers à défendre une autonomie artistique, esthétique et politique face aux logiques de la production musicale mainstream. Chez Hesmondhalgh, les industries culturelles ont une influence sur notre mode de vie et perception du monde du fait de leur capacité à produire et faire circuler des productions culturelles, ce qu’il appelle les texts. Enfin, se situant dans une tradition de l’économie politique critique s’inspirant de la philosophie morale, Hesmondhalgh étudie également ces industries culturelles au l’aune de questions normatives et éthiques : dans ce cadre, il s’agirait d’articuler cette économie morale avec les sciences humaines et sociales et de penser le rôle de la culture en termes de bien-être dans nos sociétés.

Robin Mansell a un profil atypique dans le milieu des recherches critiques en sciences humaines et sociales. Comme l’indique Alan Ouakrat, se revendiquant d’une approche institutionnaliste critique de l’EPC, elle a pris une part active à l’élaboration des politiques publiques touchant au développement et à la régulation des systèmes de communication. Elle a présidé pendant 4 ans la section Technologie et politique de communication au sein de l’Association Internationale des Études et Recherches sur l’Information et la Communication(AIERI) où elle s’est attachée à articuler recherche critique en EPC et intervention dans le débat public, tant à l’OTAN, à l’assemblée générale des Nations Unies, à l’UNESCO ou encore au Parlement Européen. Pour Mansell, pratique de la recherche et politique concrètene peuvent être déconnectées et le chercheur doit s’engager dans le vie de la cité, posture indiquant que la recherche en communication ne peut être réduite à une approche purement « administrative », façon Lazarsfeld, qui fait l’impasse sur le contexte historique et politique et fait du chercheur un élément extérieur aux rapports de forces et de pouvoir. Dans ce cadre, si sa critique de l’EPC est effectivement institutionnaliste, c’est dans le lien organique que Mansell établit entre théorie et praxis avec le souci de produire une connaissance experte aux décideurs politiques, mais aussi de concevoir le bien-être social, s’interrogeantin finesur la manière de réconcilier développement économique et justice sociale.

César Bolaño est l’artisan majeur de l’économie politique de la communication au Brésil, pays le plus vaste du continent latino-américain où s’est développée une importante industrie culturelle, notamment dans le secteur des télécommunications et de la production audiovisuelle. Ruy Sardinha Lopes et Verlane Aragão commentent le cheminement d’un chercheur qui s’est d’entrée de jeu positionné dans les débats sur les relations entre capital, État et culture en s’inspirant notamment des travaux d’auteurs anglo-saxons comme Dallas Smythe ou français comme Bernard Miège, Patrice Flichy, Jean-Michel Salaün, Paul Beaud ou Alain Herscovici. Les travaux de Bolaño ont étendu les réflexions sur l’analyse du travail de production de valeur touchant les biens culturels et communicationnels autour du concept d’audience-marchandiseinitialement formulé par Dallas Smythe. Les usagers de l’internet fournissent la matière première que constituent les informations personnelles liées à leurs pérégrinations virtuelles sur lesquelles les « travailleurs intellectuels » des entreprises produisent de la valeur économique. Bolaño se démarque ainsi de Christian Fuchs qui voyait les usagers comme ceux, qui par leur activité en ligne produisent de la valeur. Activement présent dans la mise en œuvre de nombreux réseaux de chercheurs latino-américains et espagnols, Bolaño a consolidé l’EPC au Brésil avec la création de l’Union Latino-Américaine d’Économie Politique de l’information, la Communication et de la Culture (ULEPICC).

Proche de Bolaño, l’argentin Guillermo Mastrini a su également forger une économie politique de la communication propre aux réalités latino-américaines et ne pas s’en tenir à une simple transposition des problématiques nord-américaines et européennes. Pour autant, María Trinidad Garcia Leiva souligne que Mastrini est un fin connaisseur d’auteurs comme Nicholas Garnham, Janet Wasko, Vincent Mosco, ou Peter Golding pour les milieux académiques anglo-saxons, mais également de Bernard Miège, Enrique Bustamante, Ramón Zallo, Giuseppe Richieri, Gaëtan Tremblay, sans oublier Armand Mattelart. Ses travaux portant sur l’étude des politiques de communication, en Argentine et en Amérique Latine, articulent les dimensions économiques et politiques avec une attention particulière aux structures du marché info-communicationnel, à la concentration et à la mondialisation des entreprises médiatiques et à la régulation démocratiques des industries culturelles. Sur ce dernier point, Mastrini a contribué au débat sur la démocratisation des médias au moment de l’arrivée au pouvoir de leaders de gauche, participant en tant qu’universitaire et citoyen à l’élaboration de la loi argentine sur les médias. 

La dernière et cinquième partie de cette anthologie, « Décentrements », concerne trois auteurs dont les problématiques, pour périphériques qu’elles soient à l’économie politique de la communication, donnent des éclairages utiles sur les mutations en cours du capitalisme. André Gorz, philosophe et économiste hétérodoxe dont la pensée en mouvement, faite de ruptures et de continuités, s’est attachée à théoriser la transformation du capitalisme industriel de type fordiste vers l’avènement du capitalisme cognitif autour de réflexions touchant à la nature du travail entre aliénation et émancipation. C’est cette trajectoire atypique que met en perspective théorique Carlo Vercellone dans ce qu’il considère comme les trois étapes d’une analyse des transformations du rapport capital/travail. Cette périodisation permet de suivre les repositionnements théoriques de Gorz qui l’amènent à changer le point de vue qui est le sien sur la dynamique du capitalisme. Attentif aux dispositifs de domination et aux acteurs des structures dont ils essaient de s’émanciper, il va au-delà des approches marxistes traditionnelles marquées par le déterminisme économique comme par le structuralisme. Dans la dernière phase de son parcours et avant sa mort en 2007, Gorz s’est fait connaître comme le promoteur du revenu social garanti (RSG) et de la thèse du capitalisme cognitif en relation avec la crise environnementale. Affirmant que les notions fondatrices du capitalisme que sont le travail, la loi de la valeur ou le capital sont en crise au sein d’un capitalisme industriel quasi moribond ayant atteint ses limites de développement, il invite à prendre en compte la possibilité d’une réappropriation collective des moyens de production et d’une émancipation dans le travail, dans le cadre d’une économie numérique et informationnelle fondée sur la connaissance et l’immatériel. En cela, il anticipe les débats s’ouvrant sur les commonscomme mode de production alternatif.

Émigré italien arrivé au Venezuela à l’âge de 18 ans, retournant en France pour y réaliser un doctorat en philosophie, Antonio Pasquali représente, d’après María Alcalá Sucre, l’archétype de l’intellectuel « nomade », autant pour ses pérégrinations géographiques que pour les références intellectuelles qui l’ont nourri, de l’épistémologie à la philosophie du langage en passant par l’éthique kantienne. Fortement influencé également par l’école de Francfort, il se fera le promoteur des études de communication dans son pays d’adoption et en Amérique latine dès la fin des années 1950. Ses recherches sur les communications de masse en analysent l’impact singulier sur l’organisation sociale, mais, loin du déterminisme technologique de Mc Luhan, Pasquali insiste sur la relation sociale et individuelle qui donne son sens à la communication. Dans cette perspective, il dresse des diagnostics sur l’état des médias, sensible à la thèse de l’impérialisme culturel au vu de la situation de la télévision vénézuélienne qui recevait plus de la moitié de ses programmes des États-Unis. Pour lui, à cause de cette dépendance, le continent latino-américain est dans un état de sous-développement culturel et il importe de mettre en œuvre une éthique de la communication avec un cadre légal garantissant non seulement la liberté d’expression mais aussi le droit à la communication. En cela, Pasquali anticipe les débats sur l’accès et l’usage des médias.

Le dernier texte qui clôt cette anthologie présente Bou-Ali Yassin, penseur critique méconnu, né en Syrie et formé aux sciences économiques et sociales en Allemagne. Influencé par Rosa Luxemburg, mais aussi par Wilhem Reich et Sigmund Freud, il a traduit en arabe Marx, Trotski, Gramsci, Marcuse et bien d’autres comme la philosophe féministe Ursula Scheu. Marquées par les approches freudo-marxiennes, ses problématiques de recherches se sont ainsi focalisées sur les questions de domination et d’émancipation dans le monde arabe, sur la condition de la femme et sur la culture populaire orale. L’un de ses premiers ouvrages porte sur les religions monothéistes comme idéologies naturalisant la domination et l’amène à esquisser, pour reprendre la présentation qu’en fait Mariem Hazmoune, une « théorie critique arabe ». Avec La triade taboue, il aborde la politique, la religion et le genre comme les trois éléments imbriqués les uns dans les autres qui masquent la lutte des classes. Concernant la culture orale populaire, il y prête une attention soutenue car elles cristallisent les tensions idéologiques arabes. Transcrivant les blagues et railleries qui circulent dans les discussions, Yassin réhabilite ces traits d’esprit, empruntant à Freud le terme de witz pour les décrire. Il propose également une lecture critique des contes des Mille et une nuits qui va à rebours de la thèse sur Shéhérazade, vue comme celle qui sauve et émancipe les autres femmes, pour montrer en quoi elle incarne au contraire la spoliation même de son identité de femme. S’inscrivant dans le matérialisme marxien, la pensée de Yassin a dû s’imposer dans un contexte socio-politique peu ouvert à la critique suite notamment au traumatisme de la défaite de 1967.

La sélection des 18 auteurs est assurément incomplète et cette anthologie n’a pas prétention à l’exhaustivité. Exercice inhérent à toute entreprise anthologique, la mobilisation de contributeurs capables de recenser de façon documentée et raisonnée des auteurs souvent marginaux n’est pas chose aisée. Pour autant, les auteurs choisis composent une palette représentative des diverses problématiques à l’œuvre dans le champ de l’EPC. Qui plus est, le contenu de chacun des textes signale de nombreux croisements entre auteurs et objets d’études, ce qui pallie certains oublis en mettant en lumière un réseau de références communes constituant une histoire des évolutions de l’économie politique de la communication Point commun important, nombreux sont ceux dont l’activité académique est indissociable d’un engagement en faveur d’une démocratisation des médias et systèmes de communication, à la fois dans des pays démocratiques confrontés au déclin des traditions de service public et dans les états qui se sont construits au sortir de périodes dictatoriales. Dans les deux cas, l’économie politique de la communication a fourni des cadres conceptuels pour analyser les mutations socio-économiques en cours et à venir.

Jamais sans doute les approches critiques matérialistes de l’économie politique de la communication n’ont été à ce point essentielles pour comprendre la manière dont l’industrialisation des médias et de la culture échappe de plus en plus au débat démocratique, car, comme nous le rappelle David Harvey, « [d]ésormais, ce que nous appelons culture est l’un des principaux champs d’activité entrepreneuriale et capitaliste » (Harvey, 2018 : 27).

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