Réponse à la consultation de recherche-action 2019 POPSU-Territoires — Territoires et imaginaires ruraux. Étude de cas des archipels et des processus instituants uzestiens
Territoires enquêtés – contextualisation ___________________
La recherche-action que nous entendons mener a pour épicentre la commune d’Uzeste (tout en ne s’y résumant pas – cf. infra). Village du Bazadais se trouvant au cœur des Landes de Gascogne en Nouvelle-Aquitaine (33), Uzeste est un modeste village accueillant un peu plus de 400 habitants. Il est partie prenante, pour l’essentiel, de la dynamiques intercommunale liée à la Communauté de communes du Sud Gironde (fusion de 3 EPCI entrée en vigueur en janvier 2014, comprenant à ce jour 37 communes). Uzeste est principalement connu pour deux raisons. La première tient à la présence, en son centre-bourg, de la collégiale Notre-Dame d’Uzeste, classé monument historique depuis 1840, qui accueille la dépouille de Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux devenu pape en 1305 sous le nom de Clément V (1erdes sept papes avignonnais). La seconde, centrale quant à nos préoccupations, est liée à la réinstallation dans son village natal, à la fin des années 1970, du poly-instrumentiste de renommée internationale, Bernard Lubat. Celui-ci y a développé depuis, maintenant, plus de quarante ans, un répertoire particulièrement étoffé de pratiques transartistiques (musique improvisée, théâtre, poésie, danse, etc.) et d’événements aux rayonnements régionaux/(inter)nationaux (au nombre desquels le festival annuel la hestejadas de las arts) répondant à ce que l’intéressé décrit comme un devoir d’invention d’une ruralité critique.
Le canton du Sud Gironde (50 communes) où se trouve implanté Uzeste est connu pour être un territoire particulièrement touché par la pauvreté (plus de 20 % de taux de pauvreté monétaire – Ferret, 2019). Les statistiques de l’INSEE montrent, en effet, que les ménages néo-aquitains les plus pauvres résident surtout dans les territoires ruraux à faible densité de population (et au sein des quartiers prioritaires des pôles urbains) qui concentrent notamment une population âgée vivant souvent seule, des retraités du monde agricole, des chômeurs longue durée, des travailleurs pauvres ou encore des familles issues des classes populaires et moyennes cherchant à se loger à moindre coûts et dont les fins de mois restent somme toute difficiles. La vulnérabilité sociale fait écho à la fragilité territoriale(déprise démographique, zones d’emplois éparses, perte du lien social et des solidarités villageoises, raréfaction des services publics, disparition des commerces de proximité, ingénierie territoriale modeste, réduction des prérogatives communales, gouvernance territoriale fragmentée, etc.). Ici, il n’est pas question de SPL, de clusters ou de pôles de compétitivité, mais bien de ces territoires que la nouvelle géographie économique estime devoir être économiquement « consolés » de se trouver dans l’orbe d’une métropole (bordelaise en l’espèce), condamnés à vivre d’une économie centrée sur les services à la population présente à l’année ou de passage, des prétendus « ruissellements » et autres « externalités positives » de leur voisinage métropolitain (Bouba-Olga et al., 2018). De surcroît, à cette périphérisation territorialo-économique (éloignement spatial de la métropole), s’ajoute ce que Olivier Bouba-Olga désigne comme une marginalisation symbolique, i.e. un affaissement des imaginaires positifs liés à ces espaces, imaginaires qui peuvent pourtant se révéler des opérateurs de changement (ou d’inertie) importants dans la mesure où ils agissent comme des schèmes de catégorisation qui cadrent la représentation des possibles, prismes au travers desquels les territoires se vivent, s’arpentent, s’expérimentent, s’analysent, se jugent.
Rien, a priori, n’invite donc à considérer ce territoire comme particulièrement avenant et désirable, si ce n’est, peut-être, pour certains de ses paysages, sa gastronomie et quelques traces d’histoire. Et pourtant… Autour d’Uzeste, malgré les incommodités socio-économiques préalablement listées, émergent nombre d’initiatives et d’espaces de solidarité (maraîchage en permaculture, habitat coopératif, événements culturels, réouverture de cercles, etc.) dont les instigateurs déclarent quasi systématiquement entretenir une dette assumée envers Bernard Lubat, sa Compagnie éponyme, les hestejadas de las arts et son projet de Visage village des arts à l’œuvre. Ce dû n’est aucunement d’ordre matériel ou financier et ne s’inscrit pas non plus nécessairement dans une filiation disciplinaire – les arts, la musique, le jazz –, mais relève plutôt d’un legs encapacitatoire (empowerment), c’est-à-dire de la construction d’un imaginaire, d’une réflexion, d’une réflexivité et d’un désir susceptibles de s’actualiser dans un pouvoir (d’)agir, de création et d’entreprise. De fait, depuis maintenant plus de quarante ans, Bernard Lubat et ses acolytes s’efforcent de maintenir « à vif » des processus d’individuation qui sont donc « à vivre », par l’invention d’imaginaires qui réarment les subjectivités individuelles (subjectivations), mais aussi les intentions collectives. Par ce travail laborieux au long cours, c’est le territoire uzestois qui, peu à peu, s’en est trouvé symboliquement requinqué et a, de ce fait, également recouvré quelques couleurs en se trouvant ainsi désincarcéré, d’une part, de certaines pesanteurs passéistes et, d’autre part, des injonctions d’une économie néolibérale qui, convenons-en « ne fait pas de quartier ».
Problématique ___________________
S’intéresser dans le cadre d’une recherche-action « collabor’active » (cf. point 3) à ce type de territoires ruraux par trop vite catalogués par certains comme « perdus », « périphériques » ou « à dédommager », c’est se donner les moyens de réinscrire sur le plan symbolique ces espaces et leurs villages (Charmes, 2019 – récits territoriaux) ; opération s’effectuant en dehors des « théodicées » officielles caractéristiques des « discours métropolitains » zélateurs (Bouba-Olga, 2018) ou, a contrario, de ses pendants déclinistes (Guilluy, 2014). Il s’agit donc, à partir d’un cas particulier, de mettre au jour les possibles pratiques de refondation imaginaire des territoires ruraux en éclairant les pragmatiques à l’œuvre de reconquête des représentations, liées aux richesses sociales, culturelles et politiques de ces espaces. C’est se donner les moyens d’éclairer la capacité de ces localités – parfois perçues comme d’une dignité scientifique relative (Cornu, Delfosse, 2017) – à produire des histoires par et pour elles-mêmes dans une perspective de revalorisation des espaces et de l’Histoire où elles s’ancrent. Aussi, ce sur quoi nous souhaitons porter notre attention tient aux processus d’institution imaginaire des territoirescar nous faisons l’hypothèse que l’institution d’un territoire passe par l’institution des significations imaginaires sociales dudit territoire et ce, de manière d’autant plus évidente quand il s’agitde territoires en voie de déculturation. L’institution imaginaire « corrective » des territoires apparaît alors comme l’une des conditions de possibilité essentielle d’une réappropriation culturelle, sociale et politique de ces espaces, de la création de connexions, de territorialités nouvelles et de mise en capacité à répondre aux impératifs stratégiques d’adaptation territoriale dans une dialectique locale se jouant entre société instituée (histoire faite) et dynamiques instituantes (histoire se faisant).
Force est de convenir qu’Uzeste est de ces lieuxqui, malgré de notoires faiblesses endémiques et la trajectoire déclinante d’une ruralité agricole qui fut pourtant au cœur de son dynamisme passé, a néanmoins réussi : (a) à refaire des histoires en « cultivant la culture et les arts » et une imagination créatrice, à produire des récits alternatifs instituants et à proposer des imaginaires oppositionnels qui se démarquent des trop nombreuses représentations qui assignent la ruralité à une décrépitude ; (b) à actualiser une certaine forme de résilience (Talandier, 2019) en créant des ressources (Jullien, 2016) et des mémoires culturelles (Chevalier, Hertzog, 2018) dans la reprise d’un héritage des culturèmes territoriaux qui étaient en voie de disparition, tout en se tenant à distance des paresseuses célébrations folkloristes (un institué palliatif, une imagination reproductive), et ce, pour y préférer de bien plus intéressants processus de créolisation (Glissant, 2009) suscitant « l’émergence de figures autres », indéterminées, allant au-delà de leur propre sol (Castoriadis, 1999 : 177) ; (c) à re-innerver et réinventer le territoire en ses entours en développant des « systèmes d’échanges » singuliers, plus ou moins formalisés, avec d’autres espaces qui sont autant d’archipels que l’on qualifiera d’« uzestiens », c’est-à-dire affectés par ces imaginaires uzestois et leur pouvoir instituant (i.e. un pouvoir de création qui depuis l’institué qu’il crée se donne de nouvelles bases d’action qui deviennent elles-mêmes matière à auto-altération et à ré-institution). Ces archipels uzestiens peuvent, selon nous, être considérés comme des « actifs de créativité » distribués sur des étendues qui, bien qu’interconnectées par leurs diverses « aspirations » communes ne sont pas pour autant proximales. Au regard des coordonnées territoriales d’Uzeste, les archipels dont il est ici question se déclinent selon des périmètres et des proximités de natures diverses : locales (territoires régionaux et de l’intercommunalité : Pompéjac, Préchac, Villandraut, etc.), distantes (territoires géographiquement éloignés, mais reliés : Pyrénées, Normandie, Martinique, Réunion, Rwanda, etc.) et même intimes(territoires intérieurs, dispositionnels, de celles et ceux qui y croient et y vivent). Dissemblables les uns des autres en ce qu’ils sont diversement situés, les archipels uzestiens sont néanmoins tous, en leur existence, des sortes de « décrets d’application » de ce devoir d’invention d’une ruralité critique que nous évoquions supra, lesquels sont autant des foyers de relations sociales alternatives que des lieux d’institution d’une praxis singulière dont le principe est de considérer l’autre comme un sujet autonome agent de sa propre liberté. Ils sont, à cet égard, tous porteurs d’une charge politiqueen ce que, souvent, ils interpellent (parfois très indirectement) tant le jeu varié des décisions institutionnelles que nos aptitudes à envisager la transformation du rapport de notre société à ses institutions (auto-institution), ou encore nos capacités collectives à débattre, créer, redéfinir, et ré-instituer, en toute autonomie, les territoires sur et depuis lesquels celles-ci se déploient (Bonnet, 2016).
Le cadre théorique que nous proposons, afin de nous saisir de cette idée qu’un territoire s’auto-institue (notamment) par la représentation qu’il se fait de lui-même et donc d’appréhender ce travail de création des imaginaires (sociaux et radicaux) et leurs conséquences territoriales instituantes – outre les recherches qui ressortissent de la socio-géographie la plus récente des ruralités (Baysse-Lainé, 2018 ; Brès et al., 2017 ; Chauvier, 2017, etc.) et celles qui relèvent de la géographie culturelle (Guinard, 2019, Claval, 2012, etc.) –, emprunte à trois grands types de travaux : (a) les recherches qui portent sur l’imaginaire, dans le sillage notamment ouvert par Cornélius Castoriadis (1999) qui définit celui-ci comme la capacité à « voir dans une chose ce qu’elle n’est pas », i.e. l’aptitude à réévaluer l’institué ; (b) les travaux qui traitent de la production du/des commun(s) (Hardt, Negri, 2012 ; Dardot, Laval, 2014 ; Coriat, 2015 ; Nicolas-Le Strat, 2016 ; Laval, 2019) et, last but not least ; (c) ceux qui s’appuient sur les élaborations théoriques d’Édouard Glissant et de penseurs dont les idées sont notoirement proches des siennes (e.g. Jullien, 2016). S’agissant de ce dernier volet, il est important de préciser qu’il est des accointances évidentes entre les pensées de Castoriadis et de Glissant, notamment quant à leur critique de l’universel surplombant et de l’« ontologie ensembliste-identitaire » qui figent et, a contrario, leur intérêt commun pour le Divers et le plurivoque (mais sans doute n’est-il pas le lieu de disserter davantage sur ces liens théoriques). Surtout, l’intégration de la pensée glissantienne à notre modèle d’analyserelève d’une ouverture conceptuelle émanant de certains acteurs du territoire. Glissant a en effet rencontré Uzeste quelques années avant sa mort et y a vu, avec étonnement et enthousiasme, un lieu ex-centrique qui lui semblait être comme la matérialisation territoriale de sa philosophie de la Relation. En symétrie, Uzestois.e.s et uzestien.ne.s ont rapidement considéré le penseur martiniquais comme le théoricien sans doute le plus proche de leurs pratiques. Il a ainsi été lu et travaillé, et son appareillage conceptuel appréhendé comme un utile équipement de description et d’analyse de la réalité locale. Aussi nous a-t-il apparu pertinent d’associer à nos choix théoriques les leurs, dans cette idée d’une co-construction à égalité des dispositifs d’analyse du réel. À la visée compréhensive traditionnelle qui enjoint d’instruire la manière dont la réalité sociale fait sens pour les enquêté.e.s, est donc, ici, venue s’ajouter une nécessité nouvelle tenant à l’intégration des points de vue théoriques forgeant la vue de celles et ceux sur lesquel.le.s, mais aussi avec et pour lesquel.le.s nous comptons conduire cette recherche-action.
Mais permettons-nous de détailler plus avant notre modèle d’analyse en sa partie sans doute la moins attendue dans le cadre d’un appel à projets initié par la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines/Territoiresdu Plan Urbanisme Construction Architecture. Comme nous venons de le rappeler, outre les indispensables étais socio-géographiques (pensées diverses des territoires, des territorialités, des territorialisations et de la connexion sensible et culturelle des personnes et des lieux – Vanier, 2009) desquels nous ne ferons pas l’économie, il nous a semblé pertinent de tenter de bâtir un cadre conceptuel singulier en capacité de rendre compte des processus de désinhibition des imaginaires sociaux et des phénomènes d’institution imaginaire des territoires– i.e. de la faculté collective d’instituer des transformations sociales territorialisés. Car sur le terrain, force est de constater que lesimaginaires uzestiens réarment les subjectivités et les agirs qui se trouvent ensuite mobilisés dans des praxis instituantesdont la plupart relève – selon, toutefois, des intensités variables – de ce que Pascal Nicolas-Le Strat appelle un travail du commun, c’est-à-dire un travail d’invention de « formes institutionnelles appropriées aux activités engagées et respectueuses des aspirations communes » (2016 : 32), un travail de« ré-institution générale de l’existence collective » (Laval et al., 2019 : 8), lequel se trouve être nécessairement situé/localisé dans ses réalisations pratiques liées à des ressources territoriales, mais fortement déterritorialisable en son principe.
Les concepts d’imaginaireset de commun(s) partagent en fait une insistance quant à la nécessité du « contrôle et [de] l’autonomie de la production de subjectivité » (Hardt, Negri, 2012 : 15), lesquels doivent permettre de maintenir un pouvoir de l’initiative et de l’action : « ré-interprétation de l’existant, renégociation de l’institué et ré-invention partielle des normes et règles qui président à l’existence collective » (Nicolas-Le Strat, 2016 : 84). Aussi sont-ils comme des outils cognitifs (et pratiques) d’arpentage des « nouveaux » territoires de l’autotransformation et poussent-ils à interroger, d’une part, au niveau individuel, les territoires dutranscendantal (l’imagination radicale du sujet), et, d’autre part, à un niveau collectif (l’imaginaire social instituant),les divers types d’innovations sociales et institutionnelles propices à l’accompagnement des dynamiques territorialisées de conduite du changement social. Institution imaginaire et production de commun(s)nous semble ainsi deux perspectives dont la prise en compte simultanée nous amène à prendre au sérieux l’émergence d’espaces d’expérience, de réflexivité et d’expérimentation (réseaux participatifs et solidaires ; alter-lieux voire contre-lieux– Lussault, 2017), autrement dit d’espaces politiques à bas bruit testant d’autres formes de démocratie « par en bas », en s’appuyant sur des représentations, des subjectivités, des relations sociales et des institutions somme toute alternatives, et dessinant volens nolens un nouvel horizon d’attente (Koselleck, 2016), dont il sera notamment important de chercher les points de passage et de transition de leurs « potentiels transformatifs », depuis les modalités institutionnalisées actuelles de la démocratie locale (comment peuvent-ils s’y rattacher ? Quels liens avec les professionnalités politiques ?). Puisse notre projet en éclairer modestement, mais précisément, certains des aspects à partir de notre étude de cas des « archipels uzestiens » dont il est fait l’hypothèse qu’ils sont des incubateurs de liens susceptibles de refonder, au moins partiellement, l’intersection entre l’individuel et le collectif, le privé et l’étatique, le personnel et le/l’ (inter)communal, le social et le politique (communs, économie sociale et solidaire, etc.) et de dessiner « une nouvelle topographie des relations sociales et de la subjectivation politique » (Giovanopoulos, 2018 : 102).
Méthodologie & valorisation ___________________
Notre projet relève d’une pratique des sciences sociales d’obédience critique répondant à un principe que l’on pourrait présenter comme celui des « 3 I » : impliquée, inclusive et intégrative. Nous la qualifions « d’impliquée », dans la mesure où nous estimons que la « sociologie » (entendue ici dans un sens extensif) a besoin de « sortir sa science » de l’académisme et « d’ouvrir constamment ses débats aux thèmes essentiels de la discussion publique et aux approches de théorie de la société qui naissent à l’extérieur de ses frontières » (Joas, 1989 : 173). Nous ne nous revendiquons donc pas d’une improbable posture distanciée et de surplomb, mais bien d’un engagement au plus près des pratiques des acteurs de terrain dont le statut et la relation entretenus avec eux ne tiennent pas seulement au fait qu’ils soient des informateurs-objets, mais à ce qu’ils sont des collabor’acteurs-sujets réflexifs et, pour une part non négligeable, lecteurs de sciences humaines et sociales ; donc en évidente capacité d’interpeler nos savoirs (et nous les leurs). Aussi, pratiquons-nous les sciences sociales depuis une nécessité pratique inclusive qui s’inscrit dans les canons de la recherche-action dont les principaux « gestes de recherche » tiennent à l’élaboration et à la mise en place de procédures conjointes de description et d’élucidation du réel (selon un contrat de réciprocité)et dont les résultats coproduits seront susceptibles de répondre à certaines demandes sociales repérées et construites in itinere – et non imposées d’emblée par un tiers dans le cadre d’une démarche d’expertise aux ordres ou d’un simple diagnostic du territoire. En l’espèce, notre pratique scientifique cherche à « descendre dans l’arène, [et à] prendre pied sur la scène sociale » (Nicolas-Le Strat, 2018 : 10). Il s’agit de prendre en considération les intérêts pratiques d’action et de connaissance des acteur du territoire (élus, associations, citoyens) pour interroger les situations et les dynamiques dans lesquelles ils s’insèrent et, ainsi, provoquer la possibilité d’un « commun de connaissance » tourné vers l’engagement de « capacité[s] collective[s][…] à engager de nouvelles perspectives » (Nicolas-Le Strat, 2018 : 101), tenant compte à la fois des espaces « perçus », « conçus » et « vécus » (Lefebvre : 48-49).
L’idée est donc de co-construire une Relation (Glissant) dont le principe relève moins d’une improbable et fantasmée symétrisation des positions et des compétences de chacun que d’un usage opportun des écarts d’identité, de métier et de fonction des membres de l’écosystème de recherche ainsi constitué. C’est là un principe en accord avec la définition de la praxischez Castoriadis qui estime que cette dernière « est, certes, une activité consciente et ne peut exister que dans la lucidité ; mais [qu’]elle est tout autre chose qu’un savoir préalable […]. Elle s’appuie sur un savoir, mais celui-ci est toujours […] provisoire […], car la praxis elle-même fait surgir constamment un nouveau savoir » (1999 : 113). Par la création de dispositifs de pilotage de la recherche et de dialogues permanents qui s’inventeront chemin faisant (car collectivement élaborés), nous misons sur une plus grande intégration des différentes phases traditionnelles de la recherche (problématisation, enquête, analyse, restitution) et parions, par là même, sur la facilitation d’une appropriation commune et continue, mais différenciée ; c’est-à-dire selon les objectifs, les attentes et les horizons temporels divers de chacun. Aussi, sans pouvoir prévoir très exactement et ex ante (posture contraire au principe de co-élaboration), les dispositifs de pilotage de notre étude de cas, nous voudrions toutefois avancer l’idée d’une plateforme locale d’échange permanente et « participable par tou.te.s », qui devra rassembler décideurs, citoyens et chercheurs, et au sein de laquelle se discuteront, selon une régularité calendaire à déterminer ensemble, à la fois, certains des attendus problématiques de larecherche, les « terrains » les plus opportuns à arpenter (initiatives des pouvoirs publics, expériences associatives, réseaux citoyens, archives, etc.), ainsi que les manières de produire des données utiles (soulignons à cet égard que le présent document est d’ores et déjà le fruit d’une telle démarche). S’agissant des appareils de preuve à mobiliser, et sans présager des échanges collectifs que nous aurons aussi à ce propos, nous souhaitons mettre en œuvre une enquête immersive d’ordre ethnographique, laquelle sera notamment alimentée par des observations in situ des territoires, le recueil de récits de vie et de pratiques de leurs habitants et la tenue de focus groups. Dans une visée expérimentale, nous souhaiterions notamment tester des formes renouvelées de production et notamment la conduite d’entretiens (individuels et collectifs) en binômes d’intervieweur.e.s composés d’un.e chercheur.e et d’un.e acteur.trice de terrain. Ces entretiens seront conduits auprès de publics (acteurs associatifs, élu.e.s – notamment des maires : Préchac, Cazalis, Villandraut, Uzeste, etc.), etc.) inspirés par la « geste uzestienne », mais aussi auprès d’individus qui, a contrario, s’y opposent, jusqu’à y voir, parfois, un contre-modèle.
Cette instance de pilotage du projet sera également chargée, en collaboration étroite avec les équipes du programme POPSU, de l’organisation du « séminaire de site » (octobre 2020) envisagé comme temps fort de partage (diffusion, débat, mise en œuvre) des résultats d’enquête et de leur mise en perspective, au regard des enjeux du territoire, mais aussi d’autres cas français ou étrangers. Si le plan de valorisation des résultats sera discuté lors de la réunion de lancement du programme, il nous semble toutefois opportun d’envisager, dès aujourd’hui, la complémentarité des sphères de participation offline/online (ce qui suppose la mise en place d’un site web collaboratif), laquelle devra permettre de faciliter : (a) le recueil de données (témoignages, archives, etc.) ; (b) le suivi de la recherche (calendrier, données, etc.) ; (c) le travail de médiation/appropriation (production de documents multi- et trans-médias, création de documents pédagogiques) ; (d) la publicisation à plus grande échelle et vers des espaces plus éloignés (traductions, publications, colloques, etc.).
Bibliographie ___________________
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