Créé en juillet 2011, le Théâtre de l’Intranquillité est une compagnie professionnelle de théâtre. Elle crée des spectacles, encadre aussi de nombreux ateliers, en France, mais aussi à l’étranger. Ainsi son activité ne se résume à pas à cette seule production professionnelle, et une attention particulière est portée dans son action à la possibilité offerte à toutes et tous de pratiquer une activité artistique.
Son directeur artistique est Thierry Beucher : auteur et metteur en scène. Diplômé du Conservatoire National de Région de Rennes (1985 à 1988), Thierry Beucher a aussi participé à plus d’une vingtaine de spectacles comme comédien, avec différentes compagnies de la région Bretagne.
« (…) Cette association a pour objectif de promouvoir et de diffuser la culture critique au sein de l’espace public. Que ce soit par la vulgarisation des idées, la création éditoriale, la recherche scientifique ou la réalisation de spectacles vivants (en particulier sous une forme théâtrale), le théâtre de l’Intranquillité a vocation à opérer une défétichisation des rapports sociaux et des mythologies qui fondent, au sein des sociétés capitalistes avancées, les divisions arbitraires de l’ordre social. Il s’agit, par le biais d’une activité de production culturelle, de travailler au décloisonnement disciplinaire au profit d’une alliance féconde entre les sciences humaines et sociales, le champ politique et la sphère artistique. Cette posture critique s’incarnera donc tant dans la théorie scientifique que dans le concret de la pratique artistique. »
Faire surgir une émotion esthétique, avec cet outil qu’est le théâtre, et à partir d’un point de vue critique vis-à-vis de la société telle qu’elle est organisée, telle qu’elle distribue ses places. Ainsi, il n’est pas tant question ici d’un théâtre qui serait politique ou poétique, (l’adjectif écrasant le plus souvent le premier terme du syntagme) mais d’un théâtre qui mettrait en son coeur l’art des acteurs, et tenterait, à partir de la relation qu’ils établissent entre eux, par le jeu avec un texte, un espace, une lumière, de faire apparaître d’autres représentations de ce même monde. Et c’est à partir de cette définition, la plus succincte possible, que se déploierait ensuite un poème dramatique plus large, qui regrouperait tout à la fois des créations professionnelles ; des créations et des ateliers avec des publics amateurs et/ou spécifiés ; des créations, des ateliers et des lectures, à l’étranger.
« Je ne conçois un avenir (comment te l’expliquer ?) que dans une espèce de déséquilibre permanent de l’esprit, pour lequel la stabilité est non seulement un temps mort, mais une véritable mort. »
Bernard-Marie Koltès,« Lettre à sa mère » (20 juin 1969), in Lettres, Paris, éd. de Minuit, 2009.
« Mon souhait serait que les historiens, les romanciers, les poètes et les dramaturges échangent leurs méthodes pour explorer les sujets qu’ils ont en commun. Ils produiraient des genres différents, mais peut-être complémentaires de savoirs qui enrichiraient notre compréhension du passé et du présent. »
Marcus Rediker, « Interview », Revue des Livres, n° 2, nov.-déc. 2011.
« L’ignorance des complexités de la société contemporaine provoque un état d’incertitude et d’anxiété générales, qui constitue le terrain idéal pour le type moderne de mouvement de masse réactionnaire. De tels mouvements sont toujours ‘‘populistes’’ et volontairement anti-intellectuels »
Theodor W. Adorno, Étude sur la personnalité autoritaire, Paris, Allia, 2007.
LA MORT N’EST PAS UN LUXE
Cette pièce parle d’ordre et de désordre, ou plutôt d’une certaine manière d’organiser le monde selon des règles qui sont de moins en moins celles de la politique, et de plus en plus celles de la police. Pris néanmoins sous l’angle de la comédie, elle confronte des désirs de vie (de débordements donc !) avec cette volonté de contrôle qui s’insinue jusque dans le plus intime, le paroxysme étant sans doute ces promesses d’éternité qui s’inventent pour certains, quand d’autres ne voient pas au-delà de quelques jours. De cette confrontation inégale, il reste du désarroi, du manque, de la solitude, mais aussi parfois l’inattendue résistance des corps à ne pas se laisser broyer, mouvement d’où surgit l’élan incroyable du poème (sous toutes ses formes) qui par magie ne déjoue pas le terrible, mais l’affronte, le revendique, et finit par le transformer en tragique. La Mort n’est pas un luxe, c’est la tentative de relier la douleur absolue de la perte à ce qui serait encore malgré tout de la vie, ne pas laisser la fausse conscience de sa négation nous dévaster, même si le monde autour voudrait aussi en tirer profit. C’est donc une comédie, enfin… la tentative d’écrire une comédie sur un sujet pas drôle, qui se confronterait à une époque qui ne l’est pas plus.
Où Il y est question de Zé Hélio, gérant d’une petite agence de pompes funèbres en faillite, le jour où il vient de perdre sa mère, et où Marie-Camomille, son assistante, a décidé de se rendre à une manifestation contre les violences policières. Après des nombreuses péripéties – les morts sont nombreux et parlent beaucoup, ils finiront tous les deux à Ikaria, en Grèce, où paraît-il, on meurt plus vieux !
MÈRE ET FILLE
Une maison isolée dans les collines, un hangar à l’écart de la maison
Nuit d’hiver, des heures ralenties par le froid, silences.
On entend au loin l’aboiement perdu de la chienne du voisin…
La Fille, assise, regarde la nuit au-delà des collines.
La Mère apparaît, sortant de la maison.
La Mère (Après un long silence)… Ma soeur, ses enfants viennent le dimanche, un peu avant midi. Ils lui amènent un gâteau pour le dessert, ils mangent de la viande, et quand leur père retourne dans le jardin après manger, ils demandent des nouvelles de sa santé… C’est une vie simple, claire comme la vie devrait être, personne n’y fait jamais d’histoire, du linge propre rangé dans une armoire. Le reste de la semaine, elle raconte aux autres ce que font ses enfants, elle m’appelle au téléphone pour me plaindre, et puis elle attend le dimanche suivant en regardant dehors… Je déteste ma soeur mais c’est une vie comme la sienne qu’il me fallait. Une vie où les enfants s’occupent de leurs parents quand ils n’ont plus la force de s’occuper d’eux-mêmes, une vie qui finit avec du calme, de la tranquillité, le repos de la vie mérité pour chacun, et non pas l’inquiétude qui tourne le sang et rend mauvais l’intérieur… Toi personne ne sait ce que tu fais, où tu habites et comment tu vis. Quand on me demande, je ne sais jamais ce qu’il faut dire. Le peu que je devine de ta vie en voyant celle des autres me fait craindre le pire alors je ne dis rien, je reste toute seule avec ma peur de mère trop vieille. Aussi bien un jour les gendarmes viendront nous voir je pense souvent. Ils nous diront ce jour-là que tu es morte et il n’y aura plus rien à craindre du tout, ni rien à espérer non plus. Toute cette vie de misère que ton père et moi avons supportée, tenue sur nos bras par-dessus la terre d’ici sera oubliée et il n’y aura plus personne pour s’en souvenir. Tout sera fini, fini avec une croix au-dessus de ton nom. Je voudrais ne rien me rappeler ce jour-là. Je voudrais moi aussi t’avoir oubliée, effacée de ma mémoire, dire que je ne connais ni ton nom, ni ton prénom, dire que je n’ai pas d’enfant, que je n’en ai jamais eu, que toute cette vie n’est pas la mienne et que je ne suis pas non plus celle qui habite dans cette maison. (Temps) Pourquoi es-tu revenue? Tu n’étais pas mieux là où tu étais partie? Il n’y a pas eu ici assez de malheurs comme cela pour que tu y reviennes encore? Je savais que c’était toi. Les nuits de pleine lune comme celle-là, je ne dors pas. J’ai entendu la chienne du voisin hurler, comme si le malheur revenait. Je savais que tu étais cachée dans ce hangar. Déjà quand tu t’y cachais avec ton frère je savais que vous y étiez tous les deux. Une mère sent ces choses-là, même si elle ne veut pas les voir. Une mère sait comprendre sans voir, comme la chienne qui hurle, profond dans la nuit. Ton père, lui n’a jamais rien vu que ce qu’il avait devant les yeux, toute sa vie ça a été comme ça, alors aujourd’hui c’est mieux qu’il dorme et qu’il ne te voit pas… habillée comme tu es. (Temps) Depuis qu’il ne travaille plus, il ne fait plus que ça, dormir, des journées entières. Il dort le jour, la nuit, et l’après-midi il se repose. Moi je l’attends, bien obligée! Je réchauffe son repas plusieurs fois par jour parce qu’il oublie aussi l’heure de manger et le soir je me couche avec lui parce que c’est la nuit… Ce n’est pas simple de vivre avec le même homme toute sa vie. Les journées ne sont pas trop longues pour s’occuper d’un homme qui n’a plus rien à faire! Celui-là n’était pas pire que les autres, mais c’est la vie qui n’est jamais comme on voudrait qu’elle soit. La nôtre, les malheurs se sont mis dedans et nous n’avons rien pu faire. Ils ont fait la vie que nous avons eue à vivre, ils nous ont laissés sur le côté, oubliés et cachés, comme dans un trou avec un mouchoir par dessus. Nous sommes devenus les pierres abandonnées d’un mur et bientôt il n’en restera rien, nous aussi nous serons oubliés. (Elle s’approche) Peut-être que je suis encore ta mère, et peut-être que tu es encore ma fille, mais il y a eu trop de malheurs ici pour pouvoir se parler. Certaines familles, les enfants et les parents se prennent dans les bras pour se dire à bientôt, mais nous, nous n’avons jamais su nous parler, alors il est trop tard maintenant pour se prendre dans les bras et se dire à bientôt. Je suis trop vieille pour me souvenir de la vie que j’ai eue, mes yeux à moi aussi sont fatigués! La vie d’ici il faut l’oublier, comme on oublie un mauvais rêve ou comme on ferme la barrière derrière celui qui est parti… Je ne veux pas que tu restes ici, tu entends, et je ne veux pas non plus que tu reviennes. Ce qu’il y a entre nous, il y a longtemps que les malheurs d’ici l’ont emporté. (Pause)
La Fille J’ai reconnu la maison du voisin avant de reconnaître la tienne… Le chemin qui vient jusqu’ici ne me disait plus rien. J’ai entendu sa chienne, alors j’ai su que j’étais arrivée.
La Mère Cette chienne! On aurait dû la noyer avec les autres.
La Fille Maintenant c’est toi que je reconnais. […]
Teaser
Extrait
SI L’AMOUR N’ÉTAIT PAS
Cette pièce est née loin de France, dans la solitude d’un voyage, dans un quartier précis, Lapa, à Rio de Janeiro. Une nuit comme une autre, où des rencontres de hasard s’agrègent autour de discussions qui évoquent pêle-mêle, les difficultés de la vie, du travail, des sentiments, mais aussi les désastres du monde, les riches et les pauvres, la corruption des politiques ou la violence de la police.
Des communautés éphémères se constituent sur des rapports de langage et/ou de désirs, avec des gens qui boivent et dansent jusqu’à l’aube, avant de se disloquer jusqu’à une nuit prochaine, où elles se reconstitueront à nouveau, avec les mêmes, ou bien avec d’autres…
Au-delà des faits précis, c’est ce mouvement-là que je voulais saisir, pour le confronter ensuite, avec les évènements récents et la vie d’ici. Je voulais saisir ce mouvement, qui par l’ouverture qu’il crée, permet non seulement un rapprochement des êtres, mais qui le faisant, vient aussi bousculer le partage habituel des places de chacun, et donner ainsi de ce monde – ici ou ailleurs, une vision autre que celle, atrophiée, que l’idéologie néolibérale, nous impose plus ou moins directement, avec la violence que l’on sait.
Je ne sais pas du tout si ce que j’écris est politique. En fait, je ne le pense pas. J’essaie simplement de me situer dans un écart, et avant même de pouvoir nommer cet écart, de saisir le mouvement d’une persistance des pensées et de notre être sensible, qui par le lien que leur rapprochement découvre, affirmerait par la négative, non seulement que ce monde est bien celui d’une destruction, mais qu’il y demeure malgré tout une espérance autre, qui si elle n’est pas intacte, du moins persiste à demeurer autre.
Si l’amour n’était pas a été lue au festival « Regards croisés » (Grenoble – 2017), et au festival d’Uzeste (2018). Elle également a obtenu la bourse de l’association Beaumarchais-SACD, pour l’aide à l’écriture (2018).
MONTORIN
Précisons tout de suite qu’il s’agit bien d’un spectacle, même si la forme en est un peu particulière puisque l’actrice qui est devant nous lit le texte qu’elle a sous les yeux. Elle lit, mais elle le fait en incarnant une présence dans un temps et un espace qui au fur et à mesure deviennent ceux de la fiction dans laquelle elle nous entraine. Ainsi en partant d’un degré zérode représentation, nous voyons devant nous la fiction advenir. Car bien qu’il y ait lecture, il y a aussi lumières, costume, décor, interprétation. En bref, il y a bien la recherche d’une émotion non pas donnée par la simple lecture sèche du texte, mais transmise par le corps et la pensée de l’actrice en mouvement.
Ce forme particulière s’inscrit aussi dans une recherche qui est une tentative d’explorer des chemins de représentation qui puissent déjouer les ressorts du spectaculaireauquel nous sommes soumis à longueur de temps en dehors même du théâtre.
La question qui se pose est alors la suivante : Comment faire un spectacle, qui tout en privilégiant l’émotion, ne tombe pas dans le spectaculaire qui assigne au spectateur une passivité ?
La question est très vaste, et ne saurait trouver ici sa seule réponse, mais une des possibilités est peut-être de partir d’une réalité partagée avec les spectateurs (l’acteur est dans le même temps, le même lieu, et a un rapport d’adresse directe avec eux), de poser sans illusion les éléments qui construiront la fiction (texte, lumières, costume, décor…) puis de voir comment l’actrice qui est devant nous, avec ces éléments disparates, va modifier cette réalité partagée, pour en faire surgir une autre, celle de la fiction qui est nous racontée.
La proposition est ici de montrer le processus, et viser ainsi à ne pas livrer un objet tel quel, mais en montrer l’élaboration au temps présent, faire en sorte que celui qui regarde, participe à cette élaboration.
Sortir du spectaculaire, c’est tenter de sortir d’un rapport où il y aurait l’acteur qui produit et le spectateur qui subit. Au contraire, il s’agirait plutôt d’essayer de brouiller ce partage habituel des tâches, en disant que celui qui regarde pousse celui qui joue à ouvrir un chemin particulier, pour que ce dernier entraine à son tour le premier dans le sillage de son propre mouvement. On retrouverait par là, le sens premier du mot émotion (qui donne mouvement).
Sortir du spectaculaire, c’est chercher la réouverture d’un présent partagé, pour le rendre modifiable.
Rien de nouveau là dedans, car ce n’est qu’une des définitions nombrables du théâtre, mais dans la société du spectaclequi est la notre, et qui nous assigne à une si grande passivité, peut-être n’est pas inutile de réinterroger aussi le lieu même du spectacle, dans sa fonction, dans sa forme, dès lors que l’on cherche à s’inscrire en faux, devant cet état de fait.
Rechercher dans le fond, mais aussi dans la forme, des chemins qui puissent créer des écarts, est ce qui est présenté ici, et la formule « lecture mise en scène », à défaut d’être un en deçàd’une forme aboutie, est bien aussi une tentative assumée rendant compte de cette préoccupation.
Comédienne : Alice Millet
LES UZTOPIES DE BERNARD LUBAT
Adaptation de Thierry Beucher d’un dialogue entre Fabien Granjon et Bernard Lubat
Comédiens : Philippe Languille, Alice Millet.
LES CAFÉS SOCIO
L’objectif des cafés socio est de présenter, dans une ambiance à la fois studieuse et conviviale, soit des problématiques, soit des recherches à dominante sociologique qui relèvent de perspectives critiques. Souhaitant innover quant à l’aspect formel des interventions et rompre avec un certain académisme faisant écran au partage des savoirs, chaque séance prendra forme autour d’une conférence qui sera agrémentée de lectures et suivie d’un débat avec la salle. Une bibliographie synthétique sera proposée pour chaque thème.
- Quelle place pour une sociologie critique aujourd’hui ?
- La religion, c’est les autres
- Vous avez dit postcolonial ?
- Féminisme, Gender et Queer studies, etc.