Per Jovem ! – Du jupitérisme à l’Université — Fausse conscience, pathologies sociales et passions tristes — Article refusé
La figure de Jupiter, dieu souverain (summus maximus) régnant sur la terre et le ciel, a été choisie par le Président Macron pour sceller, dès le début de son mandat, un style de gouvernement à tendance autoritaire, ayant la haute main sur un démos sans kratos, méprisant aussi bien les corps intermédiaires que la représentation nationale. L’ère macronienne signe la détestation du dialogue social tout comme celle du travail parlementaire, et évidemment de la « plèbe ». L’état d’urgence et le conseil de défense – fussent-ils sanitaires – témoignent, avec les violences policières et quelques autres dérives, de ce penchant pour un pouvoir fulminant (fulmen) et fulgurant (fulgur), descendant et foudroyant, qui ne laisse que fort peu de place au débat – même « Grand » et « national », celui-ci doit se résumer, in fine, à un show présidentiel.
Aussi, rien d’étonnant à ce que la période fut propice à l’achèvement du démantèlement du service public d’enseignement supérieur. La Loi de programmation de la recherche (LPR) – même expurgée d’un cavalier légistlatif criminalisant les mobilisations sociales au sein du champ universitaire – est venue parachever la volonté jupitéro-schumpétérienne de faire de l’alma mater l’un des services de R&D de la Start-up Nation. Nous ne souhaitons pas, ici, revenir sur les conséquences majeures de la LPR, si maladroitement défendue par une ministre aux ordres, visiblement dépassée (naviguant entre impéritie et cynisme), dont on doute qu’elle soit convaincue du caractère mélioratif de « sa » loi, tant elle flotte et barguigne dans ses justifications et refuse l’échange avec la communauté académique. Nous voudrions, en revanche, montrer que ce développement législatif décisif n’est pas tant un élément disruptif, que le logique précipité d’une politique libérale ininterrompue, soutenue par les divers gouvernements successifs – de droite comme de gauche – dont l’ultime étape s’ajuste parfaitement à un « esprit du temps » que l’on qualifiera de jupitérisme (dont l’un des monts Albains serait donc l’université). Surtout, nous souhaitons rendre compte des correspondances qui existent entre cette forme de gouvernance et les manières de faire, d’être et de penser des flamines et autres oblats de l’Université dont la fides implicita en permet précisément le déploiement et l’efficacité.
La démonstration sera conduite à partir de matériaux empiriques recueillis lors de phases d’observations participantes réalisées entre 2017 et 2020 (notamment viades entretiens conduits auprès d’enseignants-chercheurs, de membres de syndicats et des CHSCT, de personnels des instances représentatives du personnel et de la médecine préventive) et menées au sein de deux universités : l’une parisienne, l’autre en région, dédiées aux sciences humaines et sociales. Nous nous appuierons par ailleurs sur les recherches de Jospeh Gabel, et plus particulièrement, sur les concepts de fausse conscience, de pathologies sociales et d’idéologie qui, mêlés aux outils de la sociologie du champ universitaire et de la psychodynamique du travail, nous permettront de décrire, d’expliquer et de comprendre les caractéristiques principales du jupitérisme en milieu académique. Structurellement, nous nous intéresserons à la détérioration évidente des conditions de travail ; existentiellement et au plus près des expériences, notre attention portera sur les dispositions à la maltraitance et sur les passions tristes rendant possible la violence institutionnelle, laquelle conduit à des situations d’exercice toujours plus difficiles et des pratiques de mise en danger physique et mentale des personnels de l’Université, qui ne sauraient être seulement décrites en termes de misère de position (burn out, dépression, harcèlement, explosion massive des risques psychosociaux). Comme le souligne, à juste titre, l’argument de l’appel à contribution, il nous semble important de ne pas tomber dans le piège consistant à considérer que les ressorts de ce jupitérisme relèveraient uniquement de nécessités essentiellement imposées depuis un extérieur et « par le haut ».
Nos ethnographies révèlent, a contrario, une « complicité » tacite entre divers éléments idéologiques et dispositionnels au principe de l’illusio spécifique du champ universitaire, ratifiant les règles internes (normes, règles et procédures : recherche par projet, bureaucratie, carriérisme, clientélisme, mandarinat, précarité, publish or perish, hyperspécialisation, etc.) des communautés professionnelles composant l’alma mater (disciplines, courants théoriques, unités de recherche, sites universitaires, etc.) et facilitant, par là même, les développements délétères d’un faire académique « autonome » qui, in fine, apparaît moins comme hétéronome, que pris à son propre jeu. EntreRéforme générale des politiques publiques, LPR, hyperconcurrence, « évaluationnite » et narcissisme des petites différences, le métier d’enseignant-chercheur se retrouve prisonnier des serres de l’oiseau de Jupiter ; posture qui pourrait bien lui être fatale, liquidant notamment ses velléités critiques et émancipatoires qui, jusque-là, en faisaient une large partie de l’attrait.
Cher collègue,
Nous avons examiné votre proposition d’article pour notre dossier consacré au thème « violences et passions en milieu universitaire » avec soin et sommes au regret de vous annoncer qu’après discussion, nous avons décidé de ne pas la retenir. Compte tenu du grand nombre de propositions reçues, si le projet d’étudier les ressorts internes à l’université entrant en congruence avec les politiques de gestion imposées par les réformes est tout à fait intéressant, la proposition est apparue aux évaluateurs trop peu ancrée dans une étude de cas singulière…