Journée d’étude – Aux frontières de la sociologie
Jeudi 16 octobre 2025. LA HALLE SAINT PIERRE – musée d’art de la ville de Paris, 2 rue Ronsart, 75018 Paris. Métro : Anvers/Abbesses
MOT DE BIENVENUE de Pascal Vallet (co-directeur du Sophiapol-Université Paris Nanterre)
LA SAVANTE ET LE POLITIQUE de Caroline Ibos et Eric Fassin (professeurs à l’Université Paris 8)

LA PHILOSOPHIE DES PROFESSEURS DE FRANÇOIS CHÂTELET (ré-edition et préface par Alexander Neumann, professeur à l’Université Paris 8)

L’UNIVERSITÉ EN PORTE À FAUX de Fabien Granjon (professeur à l’Université Paris 8)
Merci à Pascal pour son mot d’introduction, à Caroline et Éric pour leur élan critique, à Martine Lusardy pour nous accueillir dans ce joli lieu et merci à Alexander d’avoir pris l’initiative de cette rencontre au titre inspirant, « Aux frontières de la sociologie », qui est effectivement un possible chapeau général couvrant les propos des ouvrages qui vous sont, ce jour, présentés.
Permettez-moi de rappeler que le mot « frontière » a pour origine l’ancien adjectif « frontier », qui dérive de « front » et qui signifie littéralement « faire face » ; « faire face » dans le sens de voisiner directement avec, mais on peut évidemment envisager de comprendre le syntagme « faire face » dans le sens de « qui s’oppose à » ou de « qui résiste à ». La notion de frontière pose également la question de la limite. Géographiquement, la frontière est évidemment liée à la construction d’un territoire et notamment à la territorialité du pouvoir de l’État. Qui dit frontière, dit donc des limites et possibilité de franchissement de ces limites. La frontière renvoie à la migration, acte qui est soumis à l’existence de rapports de forces, de négociations et de compromis, bref… cela appelle à une réflexion sur les processus politiques qui, d’une part délimitent un intérieur et un extérieur de la frontière et, d’autre part, définissent aussi les règles régissant cet intérieur, ainsi que les passages de l’intérieur à l’extérieur et de l’extérieur à l’intérieur. Comme le rappelle le géographe Guillaume Lacquement, il n’y a pas de frontière sans un « régime frontalier » qui définit les usages et les fonctions de la frontière qui sépare tout en interfaçant, c’est-à-dire en permettant des points de passage.
Sous un certain angle, l’ouvrage dont je souhaite dire deux/trois choses aujourd’hui pourrait être décrit comme un tentative pour rendre compte des frontières avec lesquelles il faut faire quand, issu des classes populaires, on accède, en exerçant la profession d’universitaire, à une position sociale qui fait de vous un migrant de classe en tant que vous devenez un élément de la petite bourgeoisie culturelle.
Cet ouvrage n’est pas encore disponible en libraire, il devrait être publié en mars prochain aux éditions du Bord de l’eau et porter le titre L’Université en porte-à-faux. Auto-socioanalyse d’un universitaire d’extraction populaire. Sans doute cet ouvrage aurait-il pu plagier le titre du célèbre opus de Jean-Pierre Vernant, La Traversée des frontières publié aux éditions du Seuil en 2004, ouvrage qui traite, lui aussi, mais d’une autre manière, plus en creux, du parcours du philosophe et historien, professeur au Collège de France, grand spécialiste de la Grèce antique et notamment de ses mythes. Mais s’il fallait établir une généalogie avec des entreprises éditoriales plus proches, je citerais plus sûrement les travaux de Richard Hoggart (1970 ; 2013), de Fernand Dumont (1997), de Pierre Bourdieu (2004), de Didier Eribon (2010), d’Armand Mattelart (2010) ou, plus récemment, ceux de Rose-Marie Lagrave (2021) ou de Gilles Moreau (2022) qui chacun à leur manière, s’appuient sur les attendus d’une sociologie réflexive, laquelle considère que : « l’objectivation sociologique passe par l’objectivation du sociologue, de sa trajectoire, de ses ressources […], de sa position dans le monde [universitaire], des dispositions qu’il y importe (liées à sa propre histoire) et de celles dont il hérite (liées à la position occupée), des intérêts qu’il engage dans ses ‘‘choix d’objet’’, etc. » (Mauger, 1999 : 101-102).
Pour le dire autrement, mon livre est une tentative pour rendre compte d’un exercice de réflexivité visant à objectiver les dispositions nées de ma trajectoire personnelle, c’est-à-dire celle d’un enseignant-chercheur issu d’un milieu populaire. Il ambitionne d’analyser la manière dont ces dispositions ont plus ou moins durablement influencé une praxis universitaire (attitudes, prises de position, construction d’objet, manières d’enseigner, etc.), notamment marquée par un regard attentif à des thématiques sociales et des populations marginales, voire délaissées ou peu valorisées, révélant, par-là, une forme de solidarité et de fidélité à la classe d’origine du porteur de ces dispositions. Aussi, ce livre pourrait être, à première vue, considéré comme un récit de plus consacré aux « transfuges de classe » ou aux « transclasses ».
Le thème s’avère en effet, depuis quelque temps, particulièrement vendeur et apprécié, notamment parce qu’il tend à réarmer les croyances – réconfortantes – dans la méritocratie, la valeur travail, le sens de l’effort et la possibilité censément réelle de déjouer les lois de la reproduction sociale.
Ces derniers temps, le monde de l’édition n’a pas été en reste quant à cet engouement pour les transfuges sociaux dont les histoires touchent et rassurent en même temps. Quand il ne s’agit pas d’une énième déclinaison de la littérature romantique de masse visant à sublimer les avanies de la vie quotidienne ou à glorifier self made (wo)men et autres « génies » entrepreneuriaux, seuls et sans dette (Galluzzo, 2023), les histoires de transclasses ascendants peuvent avoir un réel intérêt, dans la mesure où l’exceptionnalité des parcours atteste moins du mérite et des vertus des adoubés sociaux qu’elle ne révèle combien ces trajectoires sont le produit de dynamiques collectives faites d’une complexion – pour reprendre un terme de Chantal Jacquet (2014) – de déterminations, de rencontres, de hasards et de nécessités.
Du côté des sciences sociales, appuyé sur une sociologie des intellectuels, le genre s’est développé, oscillant entre un travail réflexif critique et une liturgie des « destins d’exception ». Les usages consacrés de la balistique sociale ascendante et des récits de migrants sociaux « déclassés par le haut » et accueillis au sein du milieu académique insistent parfois sur l’éminence des parcours socialement linéaires, le prestige des institutions fréquentées et la supériorité des positions finalement occupées ; ensemble censé révéler le sens grandiose de la propre importance de celui qui en rend compte. C’est d’ailleurs la principale raison avancée légitimant de déroger aux bonnes manières de la contention de soi.
L’extraordinaire, le magistral et le prodigieux autorisent quelque écart de conduite, mais il est entendu qu’il serait malvenu et vulgaire de se laisser aller à compter des chemins trop ordinaires, circonflexes et accidentés. Pourtant, c’est bien de traces de vie somme toute banales, faites d’une succession de franchissements de seuil, de positions occupées dans différents champs de l’espace social et émaillées de bifurcations dont il est question dans mon ouvrage. Ma « carrière » – entendue au sens le plus commun, mais aussi au sens interactionniste du terme comme enchainements de séquences – ne témoigne en rien de faits inouïs ou spectaculaires.
Pour autant, elle me semble digne d’un certain intérêt dans la mesure où, de manière semblable à ce que décrit Richard Hoggart dans son autobiographie intellectuelle, 33 Newport Street (2013), elle rend notamment compte de ce qui a été importé de mon milieu de départ dans le rapport que j’entretiens au milieu et à la culture académiques. C’est ainsi que, modestement, je tente d’apporter ma pierre à l’édifice des travaux auto-socioanalytiques qui, globalement, comme le note Gilles Moreau : « accordent peu de place aux sociologues de province, dévoilent rarement les conditions de vie et les socialisations familiales des futurs sociologues, les conditions matérielles de réalisation des études ou celles de l’entrée dans la carrière universitaire » (Moreau, 2022 : 16-17).
À l’évidence, l’effort de l’objectivation réflexive peut vite être perçu comme un débordement narcissique, mais dans les faits, il vise, comme le dit Pierre Bourdieu, à « objectiver le moi impersonnel que les confessions les plus personnelles passent sous silence ou qu’elles refusent pour son impersonnalité même » (1997 : 44). L’histoire de chacun ne vaut que dans la mesure où elle éclaire quelque chose qui ne relève pas seulement d’un exception biographique, mais de dynamiques collectives. Il s’agit donc de rendre à leur nécessité sociologique les singularités du chercheur et, par là même, de travailler à la mise au jour de « tout ce que la vision de l’objet doit au point de vue, c’est-à-dire à la positionoccupée dans l’espace social et dans le champ scientifique » (Bourdieu, 1984b : 22).
J’aimerais à ce stade, apporter quelques précisions quant à l’expression transfuge de classe qui émane de la sociologie bourdieusienne. En son sein, il désigne un phénomène de déplacement dans l’espace social qui déjoue les pronostics de la reproduction, mais s’accompagne d’un inconfort se caractérisant pas des sensibilités « à vif » et des manifestations subjectives tendant à déstabiliser le sujet en ascension (sentiments de honte, d’imposture, de culpabilité, de trahison, d’indignité, d’infériorité, etc.). Le syntagme insiste sur cette forme d’individuation en « demi-teinte » qui tire bénéfice de cet improbable pourtant advenu et de la majoration de certains capitaux (social, culturel, économique, etc.) qui l’accompagne, mais qui, pour autant, se trouve attachée à des dispositions qui provoquent troubles et malaises propres à ces déclassements par le haut. Autrement dit, la condition de transfuge suppose des « invariants caractéristiques du vécu de l’ascension sociale » (de Gaulejac, 2007 : 115) dont l’habitus clivé est sans doute la figure la plus connue, mais qui a tendance à figer le migrant de classe dans une série de contradictions avec lui-même, génératrices de souffrances.
Plutôt que de considérer, depuis une vision pathologisante des trajectoires sociales, le transfuge de classe comme un sujet social soumis à une sorte de double bind qui en ferait le tributaire d’une friction ininterrompue entre deux cultures et soumis à une identité de classe ambivalente (Granfield, 1991), à une névrose de classe, à une schizophrénie ou, plus globalement, à des troubles mentaux « entrain[ant] mécaniquement un déchirement identitaire » (Pasquali, 2021 : 332), il me semble préférable de considérer que les « voyages de classe » produisent des répertoires dispositionnels jaspés, au sein desquels coexistent des tendances qui ne sont pas toutes « alignées » entre elles et ne sont permanentes qu’en des cas très spécifiques. S’il est possible de repérer des traits comportementaux relativement récurrents, ceux-ci me semblent plutôt devoir être envisagés comme des arrangements pratiques comme le propose Paul Pasquali (2021) dépendant également des contextes qui en déclenchent la possibilité. Ils peuvent aussi déboucher sur des « amorce[s] de réflexivité » (Fabiani, 2016 : 94) et de révolte qui, sans résoudre l’inconfort existentiel, permettent de le tenir à distance et, éventuellement, de s’en prémunir.
Parce que les expériences du déplacement social sont ambiguës et plurielles, Chantal Jacquet a, elle, proposé le concept de « transclasse ». Pour ce qui me concerne, la catégorie qui a ma préférence est celle de migration de classe, notamment utilisée par Gérard Mauger (2004) et Paul Pasquali (2021) qui, par-là, effectuent un rapprochement avec le travail d’Abdelmalek Sayad sur la double absence au lieu d’origine et au lieu d’arrivée (1999). Le sociologue, ami et collaborateur de Pierre Bourdieu, considérait que l’on ne peut faire une sociologie de l’immigration sans la relier à son pendant sur l’émigration. Or ce couplage structurel est aussi une caractéristique de la forme de déplacement spécifique qu’est la migration de classe décrivant le passage d’un territoire social à un autre suivant un schéma déracinement-ré-enracinement (Bourdieu, Sayad, 1964).
Me concernant plus spécifiquement, cette double absence se caractérise par au moins deux traits. D’une part, elle ne naît pas que de la migration elle-même, mais a été préalablement alimentée par une prise de distance partielle et précoce avec mon milieu d’origine – d’ailleurs peut-être faudrait-il, à ce titre, plutôt parler d’une « double distance » (Bourdieu, 2004 : 135) ou d’un dédoublement (Bourdieu, Sayad, 1964 : 69). D’autre part, elle n’est pas tant une disjonction insurmontable qu’un intervalle qui ouvre à la Relation, c’est-à-dire à la possibilité d’une solidarité des différences et de construction de lieux communs (Glissant, 2009) qui rapprochent, et ce, au sein même d’un procès de subjectivation qui épouse parfois les atours d’une double conscience (Du Bois, 2007) plutôt que ceux d’une fausse conscience (Gabel, 1967).
Aussi, mon é/im-migration de classe tient à une espèce particulière de double absence dont le vécu ne tient, me semble-t-il, ni de la désertion, ni du passage à l’ennemi, ni de la collaboration de classe, mais d’une condition de « métis social ». Ma migration sociale ne relève pas d’un manquement et je ne suis pas un apostat ayant préféré une « nature » bourgeoise à une identité populaire. À tout le moins, je ne l’ai pas vécue au prisme de cette alternative qui ferait de ma trajectoire une « évasion sociale » qui, à l’instar de l’évasion fiscale, aurait artificiellement délocalisé mon existence à des fins de maximisation de profits personnels. Ni avant, ni maintenant, et ce, bien que cette migration de classe ne soit pas sans générer « des conflits entre des sur-moi concurrents, plus ou moins bien congédiés, inégalement prestigieux, mais aussi inégalement aimés » (Grignon, 1999 : 191).
Ma migration de classe n’a aucunement été synonyme de « rupture d’allégeance » (Mauger, 2021 : 53), d’abandon ou de déloyauté vis-à-vis de mes origines sociales à la manière d’un Antoine Bloyé dont Jean-Paul Sartre disait de l’ouvrage éponyme de Paul Nizan (1933) qu’il était un roman de « l’identification au père » (1960), père que, pour ma part, je n’ai pas eu et à qui il ne me semble donc pas avoir voulu rendre justice. Mes (in)fidélités supposées à mes racines sociales et à « la cause du peuple » ne m’apparaissent pas, contrairement à ce qu’affirme Pierre Bourdieu, comme des (in)fidélités à « la cause du père » (Bourdieu, 1993 : 715). Surtout, je n’ai jamais souhaité être d’ici et/ou de là. Je me suis socialisé dans une classe, puis dans une autre, mais à chaque fois, avec une distance qui m’a éloigné de formes d’adhésion parachevées à ces milieux. À la fois à l’intérieur et à l’extérieur, dedans et dehors, à la frontière, je me sens comme un étranger à demi assimilé et assimilable. Norbert Alter (2022) souligne le paradoxe de ces postures intervallaires : on se trouve distancié, mais engagé, car ne pas (vouloir/pouvoir) en être complétement, c’est aussi devoir faire des efforts particuliers dans les moments où il s’agit tout de même de participer à l’un et/ou l’autre de ces mondes sociaux que l’on habite donc depuis une relative « indiscipline sociale » qui ne saurait être ramenée à un simple habitus.
D’habitus il est pourtant question car le cadre théorique que je mobilise dans ce travail se nourrit avec appétit d’une sociologie dispositionnaliste. Celle-ci me permet de considérer que la migration de classe est un cas particulier de mise en correspondance contrainte de schèmes d’action, de perception, de pensée, etc., avec des structures objectives qui ne les ont pas produits. L’objectivation du phénomène de migration de classe dont je rends compte dans cet ouvrage sous un angle particulier – celui d’un « voyage de classe » culturel – tente de repérer combien mes manières d’être, de faire et de penser sont redevables des rapports de domination qui m’ont construit comme individu singulier pluriel, mais dont, volens nolens, je me suis partiellement défait. Pour autant, je ne propose pas un écrit expiatoire de la migration de classe ascendante. D’une certaine façon, je ne colle que très imparfaitement à l’idéal-type du transfuge de classe disposé à la repentance et/ou à la résilience (Balutet, Camp-Pietrain, 2023) du fait de son « inconfort structural » (Mauger, 2017 : 11). Parce que mon franchissement des frontières sociales n’a finalement rien d’une émancipation « à plein régime », j’habite un « entre-deux » social et culturel qui m’a disposé au demi-contentement et au demi-consentement. Dans l’ordre du vécu, celui-ci s’incarne dans des arrangements réconciliateurs (Pasquali, 2023 : 134), quelque accointance coupable, pas mal de mécontentements et, in fine, dans une insatisfaction chronique et renégate (ne pas se sentir « obligé d’adorer les ‘‘idoles de la tribu’’ » d’accueil – Schütz, 2017 : 36).
La position que j’occupe dans le champ universitaire est le résultat de hasards, d’opportunités et de prises de positions plutôt rétives à l’égard du milieu – refusant la domestication académique et le renvoi fréquent à ma condition d’intellectuel « parvenu » (petite-bourgeoisie intellectuelle – Bourdieu, 1979 : 409 et seq.) ; une « dissidence » vis-à-vis des béatitudes de l’oblat qui ne m’a toutefois pas ôté le goût de la recherche et de l’enseignement. La migration de classe se fait tour à tour séparation et rapprochement. Elle est comme un tango social dont les dynamiques jouent des (dés)équilibres qu’elles créent et doivent perpétuellement être surmontés par des résolutions qui ont elles-mêmes caractère d’instabilité : un porte-à-faux reliant deux univers sociaux requérant de perpétuelles adaptations pour se maintenir d’aplomb malgré les décentrations plus ou moins permanentes. Il s’est donc agi de révéler combien j’étais et reste « habité par la structure des rapports sociaux dont [je suis] le produit » (Bourdieu, 2004 : 84), mais aussi de souligner que ces rapports sociaux sont déjouables.
Si le dispositionnalisme en tant que théorie de la pratique invite souvent à considérer la correspondance engourdissante qui lie les structures objectives aux structures subjectives, il invite également à envisager que les rapports aux choses, au monde et à soi puissent relever de rapports plus variés. D’une part, être engourdi n’est pas être asthénique et, d’autre part, l’engourdi peut également, en certains cas, s’avérer dégourdi et ne pas être franchement gêné pour agir autrement que selon les règles du milieu où il évolue. Les dispositions ne sont pas des structures figées une fois pour toutes et structurant à l’identique des manières de faire, de penser, etc. Paul Pasquali a par exemple montré que les habitus des jeunes migrants de classe sur lesquels portent ses recherches « se clivent, se déclivent et se reclivent, jusqu’à ce qu’ils atteignent un ‘‘équilibre’’, plus ou moins durable, entre leurs ‘‘places’’ dans leurs univers d’accueil et d’origine » (2021 : 421). Davantage qu’un combat perpétuel contre soi (modèle hoggartien du « déraciné »), la migration de classe, à tout le moins comme je l’ai vécue, est plutôt le précipité d’expériences singulières et l’invention d’arrangements plus ou moins (in)conscients, (pré)réflexifs, qui sont à repérer dans leur double dépendance aux dispositions incorporées et à leurs espaces d’activation (contraintes institutionnelles, logiques de champ, etc.). Contextes déclencheurs, ceux-ci peuvent aussi être formateurs de dispositions (Lahire, 2023 : 924) et se trouver à l’origine de processus de dés/ré-habituation substitutive (remplacement d’une disposition par une autre) ou diversificatrice (émergence d’une nouvelle disposition, réalésage des puissances dispositionnelles). Les dispositions sont donc conditionnelles, c’est-à-dire modulées diachroniquement par le parcours biographique et synchroniquement par les contextes.
Aussi, ai-je notamment cherché à situer mon parcours individuel dans les conjonctures des champs et des hors-champs que j’ai traversés, dont la fréquentation a produit des mises en disposition qui me semblent avoir moins fait de moi un agent double – comme il est souvent convenu de le reconnaître – qu’un agent de liaison. Pourquoi ce syntagme ? D’une part, parce qu’il s’agit d’une figure de (la) résistance et qu’il me semble être porteur d’une tendance marquée à m’opposer – à tort ou à raison – à ce qui m’apparaît relever de formes de domination. Mais l’agent de liaison est aussi un intermédiaire dont la fonction est d’assurer la communication entre deux entités. C’est un messager qui met en relation, tel Hermès, gardien des routes et des carrefours, dieu des voyageurs et donc des migrants. Et de fait, il me semble avoir un petit quelque chose d’un Freddie Drummond, personnage central de la nouvelle de Jack London, Au sud de la Fente (in Grève générale, Libertalia, 2021) : un pied dans la petite-bourgeoisie intellectuelle et un autre dans les classes populaires, jouant un rôle de « médiateur entre cultures dominantes et dominées » (Ostrowetsky, 1996 : 15). En produisant des travaux de recherche sur les classes populaires, sur leurs rapports à la culture, sur leurs mobilisations, etc., je contribue par exemple, avec d’autres à faire en sorte que la sphère académique ne délaisse pas cette partie de la population. Par ailleurs, en développant des dispositifs variés d’implication (notamment dans l’écriture) et/ou de restitution à destination de celles et ceux sur qui porte cette connaissance produite sous les auspices de la critique, je fais en sorte qu’elle leur soit retournée, notamment en révélant les différentes formes de domination qui s’exercent dans le cadre d’un ordre social pesant sur le présent et qui, la plupart du temps, font l’objet d’une méconnaissance de la part des individus qui les subissent. Contre l’évidence du sens commun, les sciences sociales engagées dont je me réclame ont vocation à lever le voile sur la vérité des rapports sociaux et de pouvoir qui ne se donnent jamais totalement pour ce qu’ils sont et se parent notamment d’ornements symboliques qui les travestissent et concourent à leur mise en acceptabilité (e.g. via un travail médiatique). Les sciences sociales engagées que j’ai la prétention de pratiquer ont ainsi vocation à dénaturaliser l’arbitraire du monde tel qu’il va, à « défataliser » les déterminations sociales, à détruire les mythes justificatoires, à défaire l’idéologie et la violence symbolique (défascination). Elles participent en cela au politique, mais elles y contribuent depuis ce qu’elles sont en tant que pratiques sociales et ne peuvent donc investir la dimension politique qu’en étant parfaitement draconiennes quant à leurs manières de s’y mêler et de lui fournir quelques ressources pratiques dont la spécificité tient à la rigueur scientifique.
Mon auto-socioanalyse met également en avant que le milieu universitaire n’a jamais constitué une franche terre d’asile pour le migrant de classe que je suis. Il est un espace professionnel que j’essaie d’arpenter en agent de liaison, ce qui est déjà une forme de dérogeance vis-à-vis des normes des provinces ecclésiastiques (sciences sociales) diocésaines (disciplines), paroissiales (établissements) qui régissent la vie académique et qui visent en premier lieu à assurer la reproduction des appareils concernés. Dès lors, l’université tendrait plutôt à faire de moi un métèque (le métoïkos grec) à qui, en tant que résident (permanent ?), l’on octroie un statut d’intermédiaire entre citoyen et étranger. Je suis de ceux, et c’est un fait, qui ne cessent de changer de résidences (de statuts, de disciplines, d’objets, de problématiques, d’UFR, de laboratoires, etc. – autant de menues migrations) et dont les « origines » (populaires) et la singularité (chercheur critique, professeur des universités n’ayant jamais été maître de conférences) ne sont pas propices à la délivrance d’une AOC certifiant la conformité du produit (du bonhomme et de ce qu’il fait).
Disposé « par la pratique du passage et l’expérience de l’entre-deux » (Jacquet, 2014 : 140), je maintiens une autonomie « au principe, [par exemple] d’un refus persistant de toute allégeance théorique définitive » (Fossé-Poliak, Mauger, 1985 : 88). Je n’ai, ainsi, été le séide d’aucun père en théorie et je n’ai intégré aucune école, aucun courant, aucune chapelle, trouvant les appartenances réconfortantes tant qu’elles restent dans l’irréligion. L’in(ter)disciplinarité est à l’évidence de ces manières de faire qui répondent à un habitus d’autonomie, lequel tend à considérer que la familiarité est un confort « qui nous assèche, nous appauvrit par son manque de différence, sa répétition, cette identité sans variation » (Marin, 2022 : 26). À l’instar de ce qu’écrit Guillaume Le Blanc à propos de Michel de Certeau, il m’est tôt apparu comme une évidence que l’effort intellectuel devait être pratiqué grand-angle, ce qui ne veut pas dire sans rigueur.
Mon parcours institutionnel a rendu manifeste d’avoir fait mien un principe d’échappée pour ne pas m’assujettir à une manière de penser, ne pas m’enfermer dans une spécialisation. Cette disposition au mouvement et au passage, liée à des pratiques intervallaires, d’entre-champs, m’a conduit à produire des travaux frappés au coin de la diversité, bien qu’il soit évidemment possible d’identifier des thèmes transversaux structurant cette production. Ces changements de cadres théoriques et d’objets a même de maintenir une forte libido sciendi ont également été alimentés par une disposition à l’insatisfaction (elle-même nourrie d’un sentiment d’illégitimité) m’entraînant constamment à aller chercher d’autres contentements, notamment par le recours à des collaborations visant à un déploiement du soi dans le collectif, mais non sans quelques déconvenues. Car la plupart du temps, à un moment où à un autre, les communautés du monde universitaire se rendent responsables d’anathèmes et cela m’a toujours déplu et conduit à quitter les collectifs qui auraient tendance à se transformer en états-majors, n’ayant envie ni de cautionner les exclusions, ni de me livrer à des ré-attestations d’appartenance. Sans doute parce que ne m’étant jamais senti appartenir à une famille, n’ayant jamais eu envie de bastion, je me suis, in fine, davantage attaché à des personnes plutôt qu’à des groupes et des institutions, tout en comprenant que cette autonomie se paie en retour d’un « handicap manifeste dans la lutte pour la reconnaissance scientifique en dépit d’une incontestable ‘‘bonne volonté sociologique’’ » (Fossé-Poliak, Mauger, 1985 : 88).
Je suis entré à l’université avec quelque complicité scientifique, pas franchement par effraction, mais assurément pas sur invitation, sur le mode d’un entre-deux qui ne m’a pas disposé à l’oblation-dévotion ; dés-observance qui aurait été éventuellement pardonnable si mon intégration s’était faite à bas bruit, ce qui n’a pu être possible eu égard à ces sciences sociales engagées que j’entendais pratiquer. Aussi pourrais-je faire mien le constat que dresse Rose-Marie Lagrave quant à la place qu’elle occupa au sein de l’institution qui fut la sienne : « Je n’ai jamais fait partie des soumis et des courtisans qui […] passent sous silence les inégalités qui la traversent. […] Je ne me suis jamais conformée […] aux injonctions des façons d’être du milieu universitaire. Je n’y ai jamais vécu comme un poisson dans l’eau, alors même qu’il fut pour moi un espace d’accomplissement et de bonheur » (Lagrave, 2021 : 269 et 347).
Si je n’ai jamais désiré autre chose que de m’appliquer à faire de la recherche, à enseigner – i.e. ce sur quoi devrait porter les évaluations conduisant à être adoubé du milieu – et à investir des positions permettant d’actualiser ces aspirations, cette appétence pour la production et la transmission de connaissances n’a pas été suffisante pour obtenir la reconnaissance logique d’un investissement qui a pourtant été constant et lié à un engagement permanent dans les missions qui ont été les miennes. L’obtention de gratifications positives a constamment été le résultat de combats menés contre les avis dépréciatifs régulièrement retenus à mon encontre, parfois tellement déplacés qu’ils ont fini par jouer en ma faveur. Le métèque académique que je suis est pris dans une forme particulière de la configuration établis-marginauxdont Norbert Elias a montré qu’elle empêchait les « en-dehors » d’« être à la hauteur de l’image dominante au sein d’un groupe installé » (Elias, in Elias, Scotson, 1997 : 39), surtout quand, comme dans mon cas, il n’est évidemment pas question de faire montre de bonne volonté en ce domaine. Aussi, l’opportunité d’une « rééducation » n’a rien d’évident et certaines de mes dispositions restent désajustées « aux exigences expresses ou tacites du champ, à ses pressions ou à ses sollicitations, et plus ou moins ‘‘sensibles’’ aux signes de reconnaissance et de consécration appelant une contrepartie de reconnaissance à l’égard de l’ordre qui les accorde ».
Les sciences sociales et l’exercice universitaire sont un sport de combat et ils le sont « au carré » pour qui est obligé de les pratiquer depuis une position de migrant de classe qui n’aide pas à faire sa place, tant il ne se sent pas requis à l’investissement initial dans le jeu et souhaite ne pas être infiltré par l’Autre (Darwich, 1997 : 50). Comme le fait remarquer Pierre Bourdieu, pour l’étranger qui ne se sent pas bien accueilli, cela « n’incline pas à la sympathie immédiate pour tous ceux – et ils ne sont pas moins nombreux parmi les intellectuels qu’ailleurs – qui se sentent parfaitement justifiés d’exister comme ils existent » (1984b : 76) et, faut-il rajouter, assurent notamment leur existence en triant-adoubant, autant que faire se peut, d’une manière ou d’une autre, celles et ceux qui leur ressemblent. Autrement dit, la proximité même des métèques académiques sortant du rang (d’en bas), rétifs au bien rangé et au bien aligné (garde-à-vous), est un danger dont les établis cherchent à se prémunir, notamment car il est fait la juste hypothèse que les marginaux n’ont pas été disposés aux attitudes de déférence assurant la pérennité du système de hiérarchisation des places.
Aussi imparfaite soit-elle, cette auto-socioanalyse attentive à la manière dont le social marque sa présence jusqu’au cœur des structures personnelles, a été l’occasion d’une « reprise de soi » et m’a permis de me rendre encore plus conscient des tensions qui traversent et fragilisent mon activité de social scientist. Passions et routines, reconnaissance et mépris, satisfactions et lassitudes, enthousiasmes et déceptions, accomplissements et frustrations, etc. : autant de contradictions quasi rituelles qui révèlent un commerce difficile entre des prétentions scientifiques et pédagogiques et les conditions pratiques de leur actualisation dans l’institution universitaire qui ne me semble plus tout à fait jouer son rôle de mère nourricière. À bien des égards, mon activité d’enseignant-chercheur m’apparaît par trop hétéronome, heurtée par des situations, des normes et des comportements qui en ralentissent le plein développement, mais surtout la fonction émancipatrice ; au point d’avoir déjà pensé à quitter le métier et avoir rendu l’exercice sociobiographique parfois rude et malaisant. Son caractère déceptif tient à ce qu’il place sous une lumière crue mes conditions concrètes d’exercice et évidencialise le fait que je n’ai que partiellement pris goût à la pratique universitaire instituée qui cadre mes activités de recherche et d’enseignement.
Pour autant, tout n’est pas négatif, loin s’en faut. J’ai même plaisir à faire partie du milieu universitaire, tout en ressentant très souvent un déplaisir à en être (aimer le métier, mais pas nécessairement la profession), dans un ressenti proche du sentiment que j’éprouvais vis-à-vis du milieu populaire qui a été le mien. D’un côté, une double absence quant à l’auto-identification (je ne m’identifie pleinement à aucun de ces groupes sociaux) ; d’un autre côté, une double présence quant à la participation effective à ces deux groupes (Avanza, Laferté, 2005) qui ne sont guère sécants. Cette absence-présence qui crée un intervalle permet de faire le lien, mais aussi possiblement de se détacher subjectivement via une position périphérique qui est à la fois distance sociale et distance d’observation typique de celle de l’étranger.
Reste qu’il est difficile d’échapper « au tourment de cette dialectique du dedans et du dehors » qui fait du migrant de classe un « conformiste rebelle » (Jacquet, 2014 : 161) dont la distance critique l’amène fréquemment à un « dégoût [de certains] autres [et de certaines pratiques qui] trouve [aussi] une traduction individuelle dans un dégoût de soi (de la part dégoûtante de soi) et [de constater] que la lutte de soi contre les autres est productrice d’une lutte de soi contre soi » (Lahire, 2007 : 125). Précisément, il me semble que cette forme d’« indécidabilité sociale » et les « écarts entre les dispositions incorporées et de nouveaux contextes d’action sont souvent à l’origine de crises » (Lahire, 2023 : 371). Mon inclination à l’engagement critique fait par exemple, comme en des périodes de ma jeunesse, encore pièce et lien (à la fois contre et tout contre) avec cet autre ensemble de dispositions décrivant un principe de cohérence individuel contraire, que j’ai qualifié habitus d’inhibition, double négatif de mon habitus de résistance qui se lient dans un mouvement de balancier qui n’est ni régulier ni d’amplitude égale, tant il peut changer selon les moments et les situations : une propension à estimer devoir toujours faire ses preuves, une pente à la sur-responsabilisation, une sensibilité importante à l’évaluation et à ses contraintes, etc. Le manque relatif de confiance en soi qui pourrait éventuellement résumer le principium de cette inclination inhibitrice s’est sensiblement amenuisé au fil des ans – de plus en plus sous contrôle – et ne trouve maintenant à s’exercer qu’en certaines situations. Toutefois, il est des circonstances dans lesquelles, parfois contre toute attente, je ne me sens pas pleinement justifié à accomplir une activité à laquelle je me suis pourtant préparé, à laquelle je suis même rompu, et dont les exigences correspondent pleinement à mes compétences. Les combinaisons dispositionnelles empruntant à ces deux schèmes d’action trouvent par exemple à s’exprimer dans la nécessité (de moins en moins) ressentie à devoir être particulièrement productif ou de contribuer ultra petita à certaines exigences professionnelles (préparation et mise à jour de cours, publication, dépôt de projets, etc.).
Cet appel au surinvestissement trouve par ailleurs ses ressources dans mon habitus scolastique qui, en positif, m’a aussi donné les moyens d’un engagement important dans la construction d’enquêtes, leur réalisation, la publication de leurs résultats, une curiosité théorique, la lecture immodérée de travaux scientifiques, la réalisation d’importants états de l’art, etc. Cette pente dispositionnelle dans sa relation avec le champ scientifique s’est avérée un atout pertinent, confinant néanmoins, parfois, à un perfectionnisme plus handicapant qu’utile. Elle a notamment permis que je me construise un capital scientifique pur épaulant mon intégration au milieu universitaire et, ainsi, de maintenir intacte ma volonté de défendre la force créatrice et critique de la recherche contre les pesanteurs et les conservatismes. Mes dispositions à l’autonomie m’ont, par exemple, également permis de m’adapter à l’évolution des conditions de production de la recherche et de conserver une pleine motivation à ouvrir de nouvelles pistes de travail. Sous ces conditions dispositionnelles combinant diverses inclinations (ascético-scolastiques, d’autonomie, inhibitrices, de résistance), l’action scientifique et pédagogique peut être source d’épanouissement, mais elle s’accompagne également, souvent, d’une certaine forme de pénitence coupable. Celle-ci engendre notamment une difficulté singulière qui tient au fait de ne jamais se satisfaire du déjà réalisé.
Évidemment, cet état d’alerte et de productivité permanente qui me pousse à l’action scientifique est savamment entretenu par les normes du champ académique dont les fourches caudines de la bureaucratisation et du New Public Managementtendent à standardiser et à étalonner les pratiques en nous dressant à la concurrence et à la performance, indicateurs à l’appui (Glaymann, 2025). Chaque absurdité du picaresque académique (Eco, 2006) ratifie ma tendance à considérer l’activité universitaire comme un « sport de combat » m’amenant à porter la lutte sur différents fronts : celui de l’entretien dogmatique des formes spécifiques d’intérêt et de la valeur des enjeux du champ scientifique ; celui de la dérive empiriste vers laquelle tend la recherche opérationnelle ; celui du théoricisme surplombant et spéculatif des essayistes qui se prennent pour les pionniers-gourous d’un « nouveau » monde et confondent verbalisme et conceptualisation ; celui encore des saillies des gardiens des temples disciplinaires qui ne voient dans celui qui revendique une curiosité indisciplinée qu’un apostat définitivement compromis par ses pratiques de recherche désordonnées et non-conformes…
Ma participation au champ universitaire et le fait d’être « impliqué dans le fait d’être pris [à son] jeu » (Bourdieu, 1997a : 22) pourraient peut-être se voir décrits comme provoquant un état de crise persistant qui a fini par constituer, chez moi, un ethos relevant moins d’une disposition participant d’un système acquis de préférences et de schèmes d’action ou d’un alliage dispositionnel cohérent, mais d’un porte-à-faux (un état de compromis) permanent qui n’est pas le « sentiment d’insécurité » qu’évoque Richard Hoggart (1970 : 349), mais une impression d’intranquillité particulièrement ancrée, dans la mesure où elle a tout d’une constante dispositionnelle parcourant l’ensemble de ma trajectoire, sorte de fil rouge affectuel entretenu au présent par la nécessité de « renaître à soi dans la complexité de celui que l’on est devenu » (Marin, 2022 : 115) : la peur de se trahir et de ne pas être à la hauteur de son éthique personnelle ; l’improbabilité de pouvoir, aujourd’hui, devenir franchement autre ; l’obligation d’avoir à œuvrer dans un environnement dont il faut convenir qu’il ne me correspond guère (dans le sens d’une correspondance du type champ/habitus), etc. Aussi, n’est-il pas certain que le travail réflexif accompli dans cet ouvrage mène, in fine, à une « conversion [de mes] dispositions et [de mes] pratiques rédui[san]t le désajustement inhérent à toute mobilité sociale» (Mauger, 2017 : 12). Toutefois, on peut faire l’hypothèse que cette meilleure connaissance de soi pourrait néanmoins porter à conséquences et alimenter une dialectique conduisant à ce que « l’expérience première transformée par la pratique scientifique transforme la pratique scientifique et réciproquement » (Bourdieu, 2004 : 53). Seule la fin de parcours qui fera suite à la publication de cet ouvrage pourra confirmer ou infirmer cette hypothèse, mais il n’est pas certain, le temps venu, que l’envie de « m’expliquer [de nouveau] avec moi-même » (Eribon, 2025 : 197) se fasse jour.
Pour l’heure, mon travail de recherche porte sur les clandestinités. Toute ressemblance avec des faits de migration de classe et des migrants de classe existants serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence
















































