Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Top

Article – Gilets jaunes, autoformation à la critique des médias et production de soi médiatique

Article – Gilets jaunes, autoformation à la critique des médias et production de soi médiatique

Les conflits sociaux (notamment ceux qui durent) sont des objets de représentation médiatique qui, la plupart du temps, sont couverts par les agents du champ journalistique depuis des points de vue qui leur sont rarement favorables (Acrimed, 2021). Le mouvement des Gilets jaunes n’a pas échappé à la règle. Lors des premières semaines de mobilisation, la couverture médiatique est plutôt bienveillante, mais à mesure que le mouvement prend de l’ampleur, l’obligeance initiale des médias les plus centraux laisse place à une couverture médiatique à charge faisant des Gilets jaunes de séditieux individus indisciplinés, repoussoirs de la démocratie représentative, fragilisant une République « en danger ». Toutefois, en contrepoint de cet espace des médias dominants, s’est développé un espace numérique oppositionnel foisonnant – pour une part dédié au mouvement –, portant une grande variété de modes énonciatifs dérogeant aux canons de la production médiatique la plus classique, tant sur le fond que dans la forme et les manières de faire : sourcing moins institutionnel, rapport plus direct au public, subjectivité assumée, etc. En contravention avec les normes attendues des sphères de la démocratique représentative et de la prise de parole publique, l’économie des pratiques numériques d’écriture et de conversation des Gilets jaunes a, de manière désordonnée et autonome, fait émerger des espaces discursifs réflexifs singuliers. 

En cela, les Gilets jaunes ne se distinguent guère des mouvements sociaux de ces dernières années (Occupy, 15-M, Printemps arabes, Gezi Park, Nuit debout, etc. – Granjon, 2017) qui se sont tous appuyés sur les évolutions structurelles des modes d’apparition publique permises par l’informatique connectée, pour émerger et exister dans leur diversité. Ces espaces d’expression qui, pour l’essentiel, ont trouvé à s’incarner dans les comptes, les pages, et les groupes Facebook[1]ont permis un élargissement de la mise en publicité et de la mise en circulation des opinions et des vécus par le biais desquelles ont aussi sailli des moments de débat public. Cette activité, largement erratique, non contrôlée, échappant aux contraintes inhérentes aux habitus militants et aux organisations partisanes a permis un élargissement du cercle des locuteurs. De facto, les réseaux sociaux numériques ont joué un rôle important en permettant l’expression spontanée d’une parole politique ordinaire qui s’est glissée dans les interstices du débat public institutionnel largement réservé aux corps intermédiaires adoubés. 

Concomitant à ces effets de décloisonnement de la parole de lutte et au développement de la production-diffusion alternative d’information, il est également un processus remarquable qui concerne l’évolution du rapport aux médias dominants et la transformation de la consommation de contenus émanant du champ journalistique patenté. Cet article se propose d’explorer – à partir d’une enquête sociologique qualitative (entretiens semi- et non-directifs[2] ; observations en ligne des groupes et pages Facebook) menée, pour l’essentiel, auprès de Gilets jaunes des régions rennaise (35) et langonaise (33) – les phénomènes d’autoformation à la critique des médias[3]. Nous documenterons, notamment, le fait que cette dynamique singulière d’autoformation se trouve couplée à trois caractéristiques notables : d’une part, elle s’avère indexée à des sociabilités qui ont pour particularité centrale d’être portées par une lutte sociale et qui ne sont donc pas directement indexées à des actions d’apprentissage ; d’autre part, elle s’appuie sur des usages des réseaux sociaux numériques cadrés par des scripts sociotechniques qui en dessinent le périmètre, à l’instar de la remarque de Gaston Pineau (2009) précisant que « la montée des médias d’information et de communication démultiplient et changent la nature des moyens classiques de formation » ; Enfin, elle se fonde sur un rapport émotionnel aux faits. Aussi défendrons-nous que la manière dont la critique des médias vient à certains Gilets jaunes[4] relève d’une forme d’autoformation que nous qualifierons de « techno-affectivo-agonistique ». Celle-ci n’est, par ailleurs, pas tant enracinée dans le manque ou l’insuffisance, que dans l’exaspération des Gilets jaunes d’être fort mal représentés[5]. S’il est possible de comparer la logique autoformatrice – comme c’est souvent le cas – à un acte de réparation, celui-ci relève, en l’espèce, d’un genre tout à fait particulier de compensation qui entend répondre à une situation d’offense et s’appuie sur un monde vécutechnologisé qui est celui de la lutte sociale et des sensibilités qui lui sont attenantes. En ce sens, les Gilets jaunes pourraient être appréhendés comme des militants réflexifs qui, sous cet angle de la critique des médias (mais aussi en d’autres aspects), sont amenés à développer un mode singulier de réflexion sensible dans l’action (Schön, 1997), s’appuyant sur une forme d’apprentissage situé (Lave & Wenger, 1991) reliant le « penser », le « sensible » et le « faire ».

Le mouvement des Gilets jaunes 

Le mouvement des Gilets jaunes (GJ) signe son acte de naissance le 17 novembre 2018 par une manifestation qui, à l’initiative de deux chauffeurs-routiers (Eric Drouet et Bruno Lefevre), vise à organiser un blocage national contre la hausse du carburant. Largement relayé sur Facebook, cet appel à mobilisation va rencontrer son public. Près de 2 000 ronds-points sont pris d’assaut, des barrages filtrants sont dressés et des péages sont occupés un peu partout en France (métropole et outre-mer). Composé d’une population bigarrée qui agrège, notamment au sein des périphéries urbaines, divers membres des classes populaires et des classes moyennes inférieures (titulaires de minima sociaux, chômeurs, fractions précarisées et appauvries des ouvriers et des employés, salariés subalternes, petits artisans, patrons de TPE, auto-entrepreneurs, etc.), ce mouvement social rend visibles des situations statutaires certes hétérogènes, mais aussi des proximités existentielles marquées par le manque (d’argent, de temps, etc. – d’où la présence d’une frange importante de femmes seules dans ses rangs). À ces similarités de condition se superposent des sentiments (e.g. de pauvreté) et des comportements proches, par exemple dans le domaine du politique, notamment quant à la défiance entretenue vis-à-vis d’une démocratie considérée comme élitaire, confisquée par « ceux d’en haut », qui se traduit plus fréquemment que dans d’autres groupes sociaux par de l’abstentionnisme (un « exit électoral » qui serait un vote de classe) et un rejet plus global du politique et des affaires publiques.

Force est d’ailleurs de constater qu’une large part des GJ se mobilisait, là, pour la première fois. Aussi nombre d’entre eux peuvent être décrits comme des néophytes ou des novices en politique (Cegj, 2019), mais dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont rapidement appris « sur le tas », prouvant que « des individus peu politisés, très peu encadrés par les organisations traditionnelles de mouvement social [notamment les syndicats] et sans relais institutionnel, peuvent aujourd’hui se mobiliser sur une large échelle pour faire entendre leurs revendications » (Agrikoliansky, Aldrin, 2019 : 14). Sans appuis matériel et organisationnel conséquents, les Gilets jaunes ont dû inventer des manières de faire mouvement, développant des arts de faire politiques relevant autant du bricolage que de la routine militante. Sans surestimer le caractère novateur de cette fluorescente action collective, il faut souligner sa réelle capacité à investir l’espace des revendications depuis un répertoire d’action (occupations de ronds-points, construction de cabanes, assemblées générales, opérations escargots, blocages, manifestations sauvages, splits de cortège, refus des services d’ordre, opérations en ligne de types mail bombing ou black fax, etc.) menuisé avec les chutes d’une tradition mobilisatrice et manifestante déroutinisée, qu’ils ne maîtrisent qu’en partie. Les GJ s’appuient davantage sur des ressources ordinaires et des propriétés efficientes acquises dans d’autres domaines, présentes à des degrés divers au sein des classes populaires (relationnelles, professionnelles, dispositionnelles, etc.), plutôt que sur un capital militant avéré (Matonti, Poupeau, 2004). La mobilisation dans une action collective est toujours un moment d’apprentissage, mais concernant les Gilets jaunes, celui-ci s’est révélé particulièrement évident dans la mesure où il s’est agi de « partir de zéro » (« C’était le première fois que je manifestais comme ça ») et faire « avec les moyens du bord », indépendamment des organisations (associations, syndicats, partis) qui traditionnellement « savent faire » et des lieux dédiés de transmission militante. Aussi, apprendre à être un militant Gilet jaune relève pour une très large part de procès informels tenant aux nécessités de l’action politique hic et nunc. Parmi ces aptitudes ordinaires mobilisées, on trouve une panoplie de capacités relevant de la pratique de l’informatique connectée : créer des pages web, gérer un compte Twitter, animer un groupe Facebook, implémenter une vidéo, etc. Elles relèvent d’ailleurs moins, la plupart du temps, d’une conversion de qualifications professionnelles que d’un « détournement » de compétences pratiques acquises dans la sphère privée ou du loisir, en dehors de toute procédure de formation interne au groupe mobilisé – en l’espèce, inexistante (Granjon, 2001).

Par leur investissement des espaces publics physiques et numériques, les GJ sont rapidement devenus l’emblème des « gens de peu » aux fins de mois difficiles ; la bannière d’un démos sans kratos qui souhaite reprendre une place dans un jeu démocratique en crise, aux mains d’une ploutocratie peu encline à considérer les citoyens socialement, économiquement, culturellement et politiquement relégués. Ce rejet de la démocratie représentative confisquant la parole des plus humbles a également trouvé à se réfracter dans une suspicion vis-à-vis des partis, des syndicats, des idéologies politiques et aussi des médias dominants, jugés connivents, incarnant « le système », « aux ordres du pouvoir ». Car si les premières semaines du mouvement, la couverture médiatique est plutôt favorable aux GJ, celle-ci va rapidement devenir fort négative (notamment sur les plateaux des chaînes d’information en continu – CnewsBFM, etc. – Siroux, 2020), les dépeignant comme la partie la plus visible des classes dangereuses, cumulant toutes les inconduites possibles : sexisme, homophobie, antisémitisme, racisme, philistinisme inculte, naïveté, attitudes quétaines, etc. La figure caricaturale du « beauf » (Mauger, 2013), de l’analphabète, du « décérébré », du « sans dents » qui « fume des clopes et roule au diesel » s’est ainsi logée dans nombre de commentaires journalistiques et politiques cherchant, à bon compte, à disqualifier la mobilisation. Les termes de « poujadisme », de « jacqueries », de « complotisme » et de « populisme » ont très souvent été employés pour qualifier ce mouvement qui vient « du bas ». Les débordements langagiers de quelques uns et les moments insurrectionnels lors des différents « actes » ont aussi contribué à alimenter cette veine dépréciative faisant des Gilets jaunes de séditieux individus indisciplinés, repoussoirs de la démocratie représentative, fragilisant une République « en danger » ; effet de cadrage à charge qui s’est toutefois retrouvé en concurrence avec une opinion publique qui, dans les sondages, leur est restée globalement plutôt favorable, malgré les désagréments occasionnés par les nombreuses opérations de blocage et la répétition des manifestations du samedi.

Cette opération de délégitimation médiatique du mouvement va être particulièrement mal perçue par les Gilets jaunes dont beaucoup nous dirons qu’ils se sont sentis trahis par « une élite qui veut leur peau » et dont ils estiment que les médias dominants sont un des rouages centraux : 

« Les médias, ils ont joué le jeu de Macron, ils ont servi Macron parce que qu’ils étaient en gros contre nous. Ils nous ont montré du doigt comme des casseurs, des dingos, des abrutis qui ne réfléchissaient pas, qui ne savaient pas bien ce qu’ils voulaient. Franchement, ça faisait peur. Ils ont essayé de faire peur aux gens, comme dans les manifestations où y a la peur du flashball. C’était du flashball médiatique… et ils ont menti comme des arracheurs de dents. Et à force de répéter en boucle qu’on était des personnes violentes, bah ça rentre dans les esprits des gens ».

L’autoformation des GJ à la militance a donc également porté sur le rapport théorique et pratique du mouvement aux médias dominants : ce qu’il faut penser des productions médiatiques mainstream, la « gestion » des symbioses conflictuelles (Gitlin, 1980) naissant de la rencontre avec le champ journalistique, le repérage des sources alternatives d’information afin d’effectuer des choix plus éclairés, l’autoproduction de contenus, etc. La critique des médias est une des thématiques de ces apprentissages « par le bas » (des situations éducatives limites – Brougère, Bézille, 2007), depuis et à l’aide d’un collectif qui est d’abord une communauté (pratique) d’action politique avant d’être une possible communauté d’apprentissage. L’intérêt pour la chose médiatique est donc une attention dont la raison d’être est d’abord la lutte sociale[6], laquelle fournit le substrat interactionnel (social – en présence et à distance) à partir duquel prennent corps les épisodes autodidaxiques réflexifs et dont les produits visent, d’une manière ou d’une autre, à augmenter l’efficacité praxique du collectif (i.e. tournée vers l’action) sans que cet objectif ne soit formalisé par un dispositif éducatif pensé comme tel. Les sociabilités et les contenus conversationnels[7] en ligne se présentent alors comme des affordances pour l’autoformation à la critiques des médias ; la mise en réseau via Facebook et la libre publication permettant à la fois un foisonnement (plus ou moins important) de contenus (articles, vidéos, etc.) et la possibilité d’interactions multiples favorables à l’autoformation (analyses, commentaires, etc.) ; l’un et l’autre étant propices à l’actualisation d’apprentissages informels, voire fortuits (Schugurensky, 2007).

Une autoformation de lutte

La violence et les prédations accompagnant les mobilisations ont donc été l’un des principaux ressorts de la couverture médiatique, épousant des logiques et des registres largement éprouvés consistant à s’insurger de la « brutalité » des événements et des personnes, notamment sur les chaînes d’information en continu (Moualek, 2022). La litanie des commentaires sur les casseurs, les black blocs, les « bons » et les « mauvais » Gilets jaunes a occupé un important temps d’antenne, distillée par des éditorialistes, des journalistes spécialisés, des « experts », mais aussi des porte-parole de syndicats policiers : « J’ai été invité sur des plateaux télé, chez Morandini ou Praud[8] et le seul truc qu’ils voulaient, c’est m’entendre condamner les violences des manifestations ». Toutefois, en contrepoint, les réseaux sociaux numériques des Gilets jaunes se sont, eux, chargés d’une multitude d’images fixes et animées, mais aussi de textes témoignant d’abus policiers et de leurs conséquences (e.g. Désarmons-les ! – Bouté, Mabi, 2020 ; Gunthert 2020). Force est de constater l’impressionnant travail de veille effectué sur certains groupes Facebook GJ, pour documenter la répression policière et construire peu à peu une « martyrologie » qui se nourrit notamment d’images « choc » (blessures, coups) et se ressource dans un travail émotionnel qui renforce les imaginaires de lutte. La mise en visibilité de ces fait a valeur en soi (montrer la vérité dans toute sa crudité), mais elle est aussi envisagée comme un levier facilitant la mobilisation politique et « l’enrôlement des soutiens à une cause » » (Traïni, Siméant, 2009).

Les GJ auprès de qui nous avons conduits des entretiens nous ont souvent décrit des dynamiques personnelles de réflexion et de consommation des médias ayant suivi une évolution particulière, liée à ce traitement médiatique à charge. Dans un premier temps, les productions télévisuelles et celles de la presse quotidienne régionale (PQR) semblent avoir été relativement prisées : « Au départ, on regardait pas mal BFM et les émissions comme ça, parce que ça parlait de nous… enfin nous, les Gilets jaunes. Pas forcément nous ici. C’était marrant de nous voir à la télé. C’est idiot, mais y avait comme une sorte de fierté à se voir ». Mais au fur et à mesure de l’installation de la mobilisation dans la durée, les formats de traitement médiatique des « actes » sont apparus à celles et ceux qui y participaient comme, la plupart du temps, partisans, défavorables à la cause et foncièrement redondants : « Ils étaient en boucle sur les violences ». « Télé » et PQR ont ainsi été, au fil du temps, délaissées pour n’être plus consultées que par l’entremise d’extraits et de « morceaux choisis », transitant sur les réseaux sociaux numériques : 

« J’ai compris que, bah là, fallait pas compter sur les médias [la télévision] pour dire vraiment ce qui se passait. Ils sont vendus aux politiques. Enfin pas tous, mais en gros si quand même. […] Je me suis informé avec le groupe [Facebook]. Y avait largement de quoi faire et on avait tout dessus. Pas besoin d’aller chercher sur les chaînes ».

« J’ai été dégoûtée par ce que les médias racontaient sur les Gilets jaunes. La télévision, mais aussi la presse locale ont raconté de grosses balivernes quand même. Il y a des journalistes qui sont venus nous voir pour nous interviewer, on leur a bien expliqué et quand tu lis l’article tu te demandes si ça parle bien de ton rond-point : ‘‘Ah bon, j’ai dit ça moi ?’’. […] Après, c’est même allé jusqu’à de l’instrumentalisation quand Dieudonné est venu nous rendre visite. Nous on avait rien demandé. Il vient… bon bah très bien, on n’était pas tous au courant de ses opinions politiques. Pour nous c’était surtout l’humoriste… Évidemment, après on était tous des racistes et des fachos. Faut faire très attention à ça, mais nous, on a appris sur le terrain. […] Moi, après, je ne regardais plus que ce qui était envoyé sur le groupe [Facebook] parce que le reste, c’était plus la peine. Tu sais d’avance que ça va pas être bon pour toi et le moral ».

Cette translation du « petit écran » vers les « très petits écrans » – ceux du smartphone et des ordinateurs personnels – que relate cette Gilet jaune langonnaise s’est accompagnée d’un aggiornamento des consommations médiatiques passant, en premier lieu, par un élargissement de celles-ci à des contenus qui, jusqu’alors, s’avéraient peu mobilisés. Si la critique des médias « made in GJ » se cantonne parfois à une critique virulente et vitupérante, vite traduite en des expressions assez sommaires (« les médias des riches », « du gouvernement », « les journalistes vendus », « les merdias », « les médiaputes », etc.), pour certains Gilets jaunes, leur mobilisation a bien eu pour effet de les amener à se confronter à un spectre de propositions médiatiques plus vastes que celles qu’ils avaient pour habitude de fréquenter. Le fait que les Gilets jaunes aient massivement adhéré aux groupes Facebook GJ, a minima ceux de leurs régions – mais le plus souvent aussi à des groupes présents sur des territoires géographiquement éloignés –, leur permet de profiter des posts de la communauté mobilisée. Parfois des plus foisonnants (plusieurs dizaines de posts par jour et des centaines de commentaires durant les périodes de haute intensité), le fil d’information de ces groupes est fréquemment parcouru sur un mode sérendipitaire et certains contenus sélectionnés à partir de critères variés qui ne relèvent guère de stratégies définies (« Ouuuhh là ! C’est un peu au pif faut dire ») et dépendent de facilités d’usage ou d’une économie de l’attention qui guide volens nolens les conduites de clic via une sensibilité – le plus souvent inconsciente – à certaines affordances (nous y reviendrons infra).

Il s’agit là d’une première forme d’autoformation sociale – en présence et à distance –, qui consiste pour les « newcomers » à apprendre à orienter leurs usages des médias vers des sources inhabituelles conseillées expli/impli-citement par d’autres GJ (« old-timers » – Lave & Wenger, 1991) plus au fait du champ journalistique et, plus particulièrement, de celui de la presse dite « libre[9] ». Le collectif mobilisé devient alors un agent d’autoformation vicariant (Bandura,1987 ; Lave & Wenger, 1991) et de validation de contenus symboliques quand, par exemple sur la page d’un groupe Facebook, une source revient fréquemment, quand elle est expressément conseillée ou quand elle déclenche des discussions jugées intéressantes par la communauté. De facto, nombre de nos enquêtés ont ainsi, petit à petit, diversifié leur sourcing médiatique et évasé le répertoire des « titres » consultés en ligne, sensiblement étendu au profit de médias revendiquant un journalisme indépendant des puissances financières et dégagé des liens de soumission à des intérêts privé, mais pour autant, clairement engagé[10] : « C’est à force de voir des liens vers Le Monde diplomatique qu’après j’y suis allée toute seule, sans attendre de voir l’info sur le groupe. Et puis après ça a été d’autres médias et quand je trouvais une info qu’était intéressante, hop, je la glissais dans le groupe. Retour de bon procédés ! ». C’est également vers une production médiactiviste (Cardon, Granjon, 2013), pouvant être parfois à l’initiative d’un unique individu (parfois lui-même Gilet jaune – Denouël et al., 2014), vers laquelle se réorientent les intérêts médiatiques des GJ[11] : « En fait, tu découvres qu’il y a plein de gens qui font des médias, un peu partout sur le territoire, et là, tu prends conscience que les médias c’est pas seulement Ouest-France ou TF1, qu’il y en a plein d’autres et des bons ». 

Si l’engagement dans le mouvement enclenche des réajustements quant aux manières de s’informer, le niveau d’implication dans la mobilisation ne semble pas forcément orienter les pratiques de consommation médiatique en faveur d’un modèle proactif, surtout s’agissant de « néo-militants » dont la récente socialisation politique n’a pas encore eu le temps de déplacer les appétences et les inclinations comportementales préalablement ancrées. En revanche, on peut constater que le capital culturel s’avère un déterminant important concernant les façons de réviser ses usages médiatiques. Les capacités compétencielles (notamment les habiletés technico-culturelles) et dispositionnelles déjà acquises pèsent de tout leur poids sur les « négociations », le plus souvent inconscientes, qui sont à l’œuvre quand des schèmes d’action et de pensée hérités et parfois bien enracinés rencontrent des situations et des contextes sociotechniques plus ou moins inédits (Granjon, 2022). Par exemple, dans ce couple (Odile et Félix) de petits fonctionnaires affectés à des tâches administratives similaires au sein d’une même collectivité territoriale, aux mêmes origines villageoises et du même âge – qui en plaisantant se décrivent comme « une vraie paire de siamois » –, il est intéressant de constater que si leur participation au mouvement des Gilets jaunes se négocie largement en commun et épouse des contours parfaitement identiques, les contenus médiatiques qu’ils fréquentent sont en revanche nettement différents bien qu’ils aient pour point commun de relayer des informations validant la légitimité de la mobilisation et affermissant, par là même, leurs convictions (Gurri, 2018). Odile, qui avant les GJ ne lisait que la presse quotidienne régionale, « pas tous les jours », et plutôt « en diagonale », se déclare maintenant intéressée par des articles de fond qu’elle va chercher en ligne sur des sites d’organes de presse reconnus (notamment lus par son père, également soutien des GJ) et dont elle achète même parfois les versions papier : L’HumanitéMarianneLe Monde diplomatique, etc. Son conjoint, lui, se déclare « très YouTube », avec une préférence pour les vidéos de manifestations et d’échauffourées « contre les flics ». Cet appétit qu’il décrit comme insatiable (« j’y passerais mes journées si Odile mettait pas le holà »), il le met en relation avec un goût ancien et particulièrement prononcé pour les sports de contact (il a longtemps joué au rugby), les films d’action dont il collectionne les DVD, ainsi que – paradoxalement – les émissions de téléréalité qui suivent des équipes de policiers qu’elles magnifient (de type Enquête d’action). Interrogé sur les raisons de cet attrait pour ce qui pourrait s’apparenter à des pratiques de riot porn, Félix met en avant la curiosité et l’excitation qu’il ressent à observer et percer les tactiques mises en place par les différents protagonistes : « Ce que je préfère, c’est les batailles rangées avec beaucoup de monde et quand ils arrivent à repousser les forces du Mordor[12] ». Il évoque également la colère et l’empathie qui l’habitent à la vue des violences perpétrées par les forces de l’ordre, notamment lors de lives durant lesquels le sentiment de vivre en direct les événements renforce – à tout le moins chez ceux qui y sont a priori déjà sensibles – une certaine jubilation notamment due à la dynamisation des émotions : « Quand Rodrigues a perdu son œil, qu’ils lui ont tiré dessus au LBD, on a vu ça en direct. Nous on n’était pas à la manif ce jour-là. J’étais complètement fou de colère. Les salauds ! Il a fallu que je sorte prendre l’air, parce que j’aurais tout pété sans ça. Odile m’a presque foutu dehors en me disant d’aller faire un tour pour me calmer ».

Les groupes Facebook auxquels appartiennent ce couple de Gilets jaunes sont pourvoyeurs de contenus et de transactions formatives qui, au fil du temps et du maintien de leur engagement, les ont conduit à des ajustements pratiques les faisant consommer d’autres contenus médiatiques ; nouvelles manières qui sont le composé de leur adhésion aux dispositifs GJ en ligne, de leurs dispositions et de leur investissement dans le mouvement. L’autoformation à la critique des médias est donc liée à la fréquentation d’une communauté d’action politique. Toutefois, ce commun épistémopolitique Gilet jaune ne se rallie pas nécessairement – loin s’en faut – à un même étendard et ce qui contente les uns (e.g. idéologiquement), n’est pas nécessairement accueilli de la meilleure manière par les autres. Aussi, dans un second temps, est-il possible de repérer une seconde étape dans le processus d’autoformation à la critique des médias, qui consiste non plus seulement à se diriger vers des sources alternatives aux médias mainstream (diversité externe), mais à comprendre en quoi celles-ci sont porteuses d’options variées (diversité interne). Or ce second niveau d’autoformation repose sur des procédures singulières visant à nuancer, distinguer, comparer, etc., dont le ressort nous semble alors moins tenir aux vertus formatives d’un groupe en lutte qu’aux dispositions et aux formes de capital depuis lesquelles les Gilets jaunes se lancent dans la mobilisation. Il ne s’agit plus simplement de braconner des apprentissages dans son entourage GJ (en ligne ou hors ligne) et « dans l’action », mais d’élaborer une réflexion précise, distanciée, laquelle va dépendre des connaissances acquises sur le domaine, mais aussi de compétences à mobiliser dans – mais aussi en dehors de – la communauté d’action, par exemple en repérant des appariements entre des contenus spécifiques et leurs promoteurs : 

« J’avais repéré que Michel, il faisait passer beaucoup d’infos du blog Révolution permanente, qu’étaient des infos que je trouvais toujours intéressantes. Je savais pas qui ils étaient… alors tu me diras, j’aurais pu aller voir de moi-même et chercher… Ok. Mais ça a été plus simple de demander à Michel. Il m’a expliqué que c’était un média du NPA, mais un groupe particulier du NPA et leur vision des choses. Je ne saurais pas te réexpliquer dans le détail, mais ça t’apprend par exemple que là, dans Révolution permanente tu vas trouver un type d’info qui sera différent pas exemple que dans le site Expansive.info, parce que c’est d’autres tendances politiques ».

Dans cette autre phase, les Gilets jaunes y prenant part doivent exercer un contrôle plus fort sur leur volonté d’apprentissage et s’avérer assurément plus autonomes dans leur recherche. Néanmoins, il nous semble intéressant de souligner que cette étape ne se départit pas pour autant d’un penchant agonistique – mais d’une autre nature. Elle prend forme sur fond d’un conflit sociocognitif (et idéologique) qui consiste à confronter son point de vue à ceux des autres membres du collectif, afin de mettre à l’épreuve ses choix et ses compréhensions (Perret-Clermont, 1996) ; confrontation dont on ne connaît pas l’issu et dont les modalités concrètes peuvent épouser des formes fort variées, allant de l’indifférence au conflit ouvert, en passant par la disputatio : « J’ai été et je suis sur plusieurs groupes Facebook et ça se passe pas pareil sur ces groupes. Il y a en a que j’ai quittés parce que c’était des infos complotistes et d’extrême-droite et j’avais beau dire que c’était pas possible et d’argumenter, rien n’y faisait. Donc au bout d’un moment, j’ai mis les voiles parce que j’en avais plein les bottes de leurs conneries ».

Néanmoins, si dans un premier temps, l’auto-apprentissage exploratoire de la critique des médias est pour partie indexé à un engagement commun définissant l’identité du collectif, laquelle invite à un positionnement spécifique (quand on est un GJ on ne peut se satisfaire des productions médiatiques dominantes) et fournit une motivation suffisante, ainsi qu’un contexte pour apprendre de et dans l’action (le groupe saura répondre), la phase d’autoformation la plus avancée nécessite donc plutôt une « réflexion sur l’action » (Saint-Arnaud, 2001) et un retour analytique, non pas tant sur l’action des Gilets jaunes, mais sur celle de leurs partenaires médiatiques, lesquels ne sont pas nécessairement membres de la communauté d’action, mais peuvent lui être simplement attenants. Cette « proximité éloignée » pourrait être un frein majeur aux motivations à « en connaître davantage » (comment passer d’une connaissance by proxy de contenus à une connaissance directe des politiques qui sont à l’origine de ceux-ci ?), mais l’existence numérique de ces « alliés » semble, en fait, faciliter et encourager le processus de recherche/d’enquête (Dewey). En l’occurrence, ce n’est plus l’identité partagée par les membres d’une communauté d’action (fut-elle assez nébuleuse) qui rend plus aisée l’auto-apprentissage, mais, plus trivialement, le partage d’un agencement collectif d’énonciation qui ne réduit pas aux seules pages Facebook du groupe GJ entendu comme un espace d’intégration ou une philia (Turban, 2005), mais s’élargit à toutes les entités du World Wide Web au-delà de la communauté formant le Nous militant le plus évident : 

« Internet, ça permet de voir large tu comprends… Moi, ma vie, j’ai l’impression qu’elle est réduite. Je ne connais pas des tonnes de gens. On voit finalement toujours les mêmes dans la vie ordinaire, dans les manifs, sur Facebook… C’est comme si c’était un peu réglé. Avec Internet j’ai l’impression que l’horizon s’est ouvert. Et pour apprendre c’est tout de suite plus simple. Je n’ai jamais autant appris que depuis que j’ai Internet, j’en suis sûre. Ça, moi je trouve que c’est quand même fantastique ».

Autrement dit, Internet facilite à certains égards l’appropriation personnelle du pouvoir de formation (Pineau, 2007) en dehors même de la communauté des Gilets jaunes, par une distribution et une mise en visibilité étendues des culturèmes, y compris les plus spécialisés. Ce n’est plus là – ou nettement moins – le fait de se revendiquer et d’être GJ qui cadre centralement la pratique formative en critique des médias, mais les compétences numériques (littératie informationnelle) et, sans doute plus encore, les dispositions (socialement distribuées) à l’autodirection[13] de celles et ceux qui s’y livrent (Granjon, 2022). L’apprentissage conserve donc ici son caractère collectif, mais elle tend aussi à s’individualiser dans la mesure où ses ressorts relèvent de manières de penser et de faire largement héritées et qui ne dépendent pas que du contexte de lutte. Par ailleurs, quand certains expliquent avoir développé de nouvelles pratiques qu’ils désignent parfois comme des opérations personnelles d’approfondissement de « connaissances militantes » débordant largement les revendications portées par les GJ (repérage de sites web thématiques, lecture d’articles longs, abonnement à des listes de diffusion dédiées, etc.), d’autres semblent s’en remettre aux logiques algorithmiques inscrites dans les programmes d’action des réseaux sociaux numériques et profiter de ce qui arrive dans leurs news feeds, confiant ainsi, sans en avoir franchement conscience, leurs pratiques autoformatives et informationnelles aux bulles de filtres[14] établissant des hiérarchies et des périmètres de pertinence sur lesquels ils n’ont évidemment pas la main, mais qui ne les desserrent pas nécessairement : « Contrairement à ce que pensent les gilets jaunes, persuadés que Macron les censure par l’entremise de Facebook, leur meilleur allié s’appelle Mark Zuckerberg. Le mouvement a été sans conteste aidé par le nouvel algorithme Facebook qui valorise les contenus de groupes au détriment des contenus postés par des pages (et donc par les médias). Après quelques likes sur un groupe, on se retrouve submergé du contenu de ce groupe dans son fil d’actualité » (Vincent Glad, cité in Ertzscheid, 2019 : 138) :

« Oui, c’est sûr qu’avec le groupe Facebook j’ai découvert pas mal de nouveaux trucs, des sites, des manières de penser différentes et de voir les choses différemment. Des personnes aussi. Même si tu les connais que par Facebook, t’as l’impression d’avoir fait des vrais rencontres, t’as l’impression de connaître certains gars comme tu connais tes potes en fait. […] Au bout d’un moment, tu peux ressentir comme une… lassitude. Parce que le combat il est un peu arrêté, le Covid nous a tué quand même ! Moi, j’ai le sentiment de tourner un peu en rond. C’est parce que c’est au point mort, mais c’est aussi parce que sur Facebook, les trucs qui tournent c’est toujours un peu la même chose au bout d’un moment, tu vois. T’as l’impression que t’es dans une espèce de routine : toujours les mêmes qui gueulent, toujours le même genre d’info. C’est pas très motivant d’avoir l’impression de faire du sur place, ça décourage ». 

Les dispositifs technologiques ne sont donc pas de simples moyens, ils sont aussi prescripteurs de contenus et se révèlent, de ce fait, des assistants implicites d’un « e-learning » qui n’apparait pas si informel que cela (Las Vergnas, 2019), si l’on s’intéresse, non plus seulement aux sujets de l’autoformation, mais aux outils qui rendent possible celle-ci, lesquels ne sont pas neutres dans les propositions qu’ils autorisent, censurent ou valorisent.

De l’affectivité et de la production de soi

L’autoformation à la critique des médias est pourvoyeuses d’apprentissages divers concernant les capacités à juger des productions médiatiques. En l’espèce, dans une logique de réseau appareillée par Facebook, elle facilite la mise en lien des intentions autodidaxiques avec des contenus, des analyses et des personnes. Les ressources individuelles mobilisées à cet effet sont assurément de l’ordre du cognitif, mais elles relèvent également des domaines affectifs et conatifs (Heutte, 2019). À cet égard, deux éléments nous semblent plus particulièrement important à souligner : d’une part, la question des émotions s’avère singulièrement prégnante dans le rapport que les Gilets jaunes enquêtés entretiennent à la production médiatique ; d’autre part, le passage d’une consommation médiatique dépendante du travail d’experts-journalistes à une production autonome ne dépendant que de soi (conation) se trouve – pour les cas qui nous ont été donnés de constater empiriquement – en lien avec une affectivité qui, en tant que ressource ordinaire, arme un « passage à l’acte » auquel la maîtrise strictement analytique de la critique médiatique semble nettement moins ouvrir[15]. Comme le souligne Christophe Traïni (2021), l’engagement militant implique toujours une idée de changement qui est aussi, la plupart du temps, une promesse faite à soi-même, visant à réorganiser ses habitudes, à travailler sur soi et à « oser faire » (tout comme l’autoformation – Eneau, 2019), audace qui dans le cadre d’une critique des médias autodidaxique épouse notamment les contours d’une nouvelle prétention expressive à actualiser et, notamment, d’une expression d’un soi engagé. L’engagement dans la pratique de production médiatique liée à l’engagement Gilet jaune, visibilise et rend explicite le fait que l’autoformation à la critique des médias relève d’un apprentissage situé (Lave, 1990 ; 1991) qui consiste aussi à progresser dans la participation jusqu’à, potentiellement, se lancer soi-même dans la production de contenus médiatiques (passage d’une « legitimate peripheral participation[16] » à une « full participation » – Lave & Wenger, 1991 : 34 et seq.).

De fait, sur les groupes Facebook GJ, on observe un nombre important de récits « à la première personne ». Les Gilets jaunes qui témoignent estiment pouvoir apporter un éclairage différent du fait de productions qui se présentent comme des informations sensibles établies par des sujets ayant été traversés par les événements dont ils rendent compte. La forte implication du locuteur qui est au fondement de cette forme de parole publique egocentrée confère une tonalité affective aux dires publicisés. S’ils sont profanes, ces témoignages ne sont pas pour autant triviaux, comme souvent les témoignages valorisés par les médias dominants (talk shows, téléréalité, micro-trottoirs, etc.), dont la supposée exemplarité peut être lue comme l’effet de l’instrumentalisation des informateurs par les médiateurs autorisés qui ont le pouvoir de délivrer des brevets d’expression publique. Ils diffèrent précisément des témoignages médiatiques en ce que leur existence n’est plus dépendante du filtre préalable de professionnels de l’information décidant des attributions d’attention. La revendication d’un ton libre et personnel, une relation plus directe aux faits, la capture d’événements ayant lieu dans les coulisses des scènes publiques, la recherche d’un ton conversationnel dans le ressenti des événements constituent autant de moyens d’introduire une part plus forte de singularités individuelles dans les contenus produits. Ces cadrages se nourrissent d’un affaiblissement de la frontière entre information et divertissement, d’une personnalisation des événements publics et d’une proximité renforcée entre information et émotion.

Aussi repère-t-on également de nouvelles formes expressives portées par des individus (utilisant notamment la fonction Facebook Live), mettant en scène dans un décor sommaire – le plus souvent domestique : salon, cuisine, garage, voiture – une prise de parole personnelle qui relève fréquemment d’un « coup de gueule », mais peut également épouser d’autres formats énonciatifs : appels à mobilisation, analyses politiques, « méditations » philosophiques, revues de presse, témoignages, épanchements personnels, etc. : « Clo, dés qu’elle poste une vidéo, je regarde. J’aime beaucoup cette fille et sa manière de penser. Elle est pas bégueule, elle fait ça chez elle, y a sa fille à côté. C’est sans manière et ce qu’elle dit c’est bien. Elle apporte toujours des bonnes informations sur ce qui se passe dans le coin, mais aussi ailleurs. C’est devenu comme une copine, même si je la connais pas personnellement ». Ce qui rapproche ces vidéastes egocentrés – dont il faut convenir que les discours peuvent s’avérer particulièrement décousus, peu documentés, voire simplistes – de leurs éventuels publics semble davantage tenir à une proximité sensible qu’au lien classique unissant un leader d’opinionà ses « suiveurs » (Katz, 1957). Ce qui est énoncé compte finalement presque moins que la manière dont cela est exprimé. Les réceptions positives de ces selfies vidéo apparaissent comme essentiellement indexées à la charge affectuelle qu’ils portent : colère, indignation, tristesse, cynisme, ironie, humour, enthousiasme, etc. Les phénomènes d’influence chers à la sociologie fonctionnaliste des médias ne semblent guère s’exercer en ces circonstances. Ni leaders d’opinion, ni influenceurs au sens où l’entend le marketing numérique, ni porte-parole autodéclaré, ces self-vidéastes locaux ne semblent par ailleurs, sauf exception, ni spécialement exposés aux contenus médiatiques, ni jouir d’une légitimité spécifique, ni être porteurs d’une vision du monde originale, ni même être plus particulièrement insérés dans les structures de mobilisation (ils sont donc plutôt dans une position de participation périphérique – Lave & Wenger, 1991), mais ils sont, en revanche, régulièrement présents en ligne, osent se rendre visibles à tous et, surtout, expriment ouvertement leurs émotions sur des modes d’énonciation qui font lien depuis une accroche affective davantage que cognitive.

La connivence qu’ils arrivent à construire n’est pas fondée sur un quelconque « magistère », mais sur un émoi rendant sensible une morale commune qui a été construite et apprise par/dans l’expérience Gilet jaune. Ce qui est apprécié tient à la fois au courage qu’ils ont d’exprimer des émotions, lesquelles sont perçues comme preuve d’une humanité mise à mal et font de leurs porteurs des combattants à saluer et auxquels il devient aisé de s’identifier. Ces adresses vidéo incarnées par des personnalités – non au sens d’individus réputés ou simplement connus, mais de sujets singuliers – sont reçues au titre d’une intimité publicisée susceptible d’être l’objet d’un jugement (de fait, parfois exprimé dans certains commentaires) et c’est cette exposition-prise de risque qui leur donne une valeur et les rend estimables : « J’apprécie ses vidéos parce qu’on voit bien qu’il est pas spécialiste de la com’. Il y va parce qu’il peut plus se taire. Il crie son mal-être quoi. Il gueule son ras-le-bol. Ça se voit bien qu’il est en colère et ça me touche de le voir gueuler ». Ce que cet enquêté met en avant quand il évoque les selfies vidéo de ce Gilet jaune qui s’exprime, la plupart du temps en des termes assez verts, pour commenter les mesures gouvernementales et de la représentation nationale, c’est la satisfaction qu’il ressent à voir s’extérioriser dans une forme de vérité émotionnelle (Eraly, 2019) une colère, de laquelle il participe lui aussi, mais de manière plus « rentrée »[17]. Il y voit l’expression d’une authenticité (une « maladresse touchante ») qu’il reconnaît volontiers « émouvante » depuis une disposition compassionnelle dont il souligne qu’elle n’a « rien à voir avec de la pitié », mais plutôt avec un penchant à la commisération qu’il affirme remonter à son enfance et qui lui aurait toujours fait détester l’injustice. Dans son développement, la publication-publicisation des contenus et des personnes mobilise des formes d’investissement de plus en plus disparates hybridant défiance institutionnelle et promotion personnelle. 

Cette production médiatique égocentrée peut, nous semble-t-il, être décrite comme un signe explicite (une preuve empirique) du passage d’une participation périphérique légitime (ajustement pratique des consommations médiatiques) à une pleine participation (devenir, soi, un média – Lave & Wenger, 1991) ayant des répercussions sur les savoir-faire, mais aussi sur le statut, l’identité et les dispositions des sujets producteurs de contenus ; phénomène qui, globalement pourrait être perçue comme une forme de reprise de contrôle sur soi « à hauteur d[es] expériences et de[s] ressentis individuels » (Le Bart, 2020 : 43). Si cette participation transformative ne se départit de certaines logiques sélectives inégalitaires, sa dynamique reste cependant remarquable en ce qu’elle offre des opportunités expressives inédites à des individus qui, jusqu’alors, n’avaient jamais osé s’exprimer publiquement. Posts, commentaires, textes, poèmes, photographies, vidéos se mêlent les uns aux autres pour porter des principes singuliers de vision et de division du monde social et politique, en brouillant le statut des locuteurs et la hiérarchie des énonciateurs, tour à tour auteurs, lecteurs, passeurs, commentateurs, critiques, analystes, etc. Une vidéo, amateur dans sa forme et fragile dans ses contenus, ou bien un commentaire à l’emporte-pièce, à peine déchiffrable, révélant un quasi illettrisme, peuvent être ainsi ratifiés et salués par leurs « publics » pour leur à-propos ou leur justesse de ton, tandis qu’une analyse précisément argumentée, formellement parfaite peut, elle, passer largement inaperçue ou être boudée – mais, en d’autres cas et en d’autres moments, se voir aussi plébiscitée. Aurélie, la trentaine, mère au foyer s’occupant de deux enfants scolarisés en primaire, nous confie : 

« J’ai eu du mal à me lancer avec mon complexe sur l’orthographe. Petite, j’étais déjà nulle en dictée et ça n’a pas changé. […] J’aime écrire et lire, mais on m’a jamais encouragée. […] Je me suis mise à écrire un matin, ça m’est venu comme ça, j’ai pas réfléchi, j’ai laissé un assez long message sur ma page. C’était une envie de dire ce qui se passait sur le rond-point. Et puis j’ai fait ça régulièrement, et à un moment c’était tous les jours. Y a des copines, mais aussi des gens que je connaissais pas qui me disaient qu’ils aimaient. Ça m’a encouragée. […] Mais pas mon mari. Il était d’accord, mais il disait que j’allais me ridiculiser. […] Mon mari est reparti [chaudronnier avec des compétences recherchées en soudure, il part en mission régulièrement à l’étranger pour travailler sur des pipelines] alors j’ai eu moins de temps. […] J’ai pas continué, mais j’ai toujours envie. Si ça recommence [les occupations de ronds-points], je referai parce que ça m’a redonné de la confiance ». 

Aurélie s’étonne d’avoir réussi à se rendre visible aux autres, mais aussi à elle-même. Minorant la valeur intellectuelle de ce qu’elle a écrit et gênée de pouvoir être perçue comme une personne narcissique, elle affirme se relire très régulièrement, jusqu’à connaître par cœur certains de ses posts et de s’étonner de leur substance, « comme si c’était pas vraiment moi qui avait écrit ça ». On sait que l’engagement militant encourage souvent le développement de pratiques rédactionnelles et de compétences d’écriture. En l’espèce, la chose semble attestée, avec pour double spécificité de déroger aux canons du « bien écrire » de la culture légitime et de produire une écriture politique qui est aussi une écriture de soi et donc un lieu d’investissement individuel ; individuation qui ne s’avère pas pour autant dégagée d’une expérience collective. Aurélie explique que c’est son investissement dans la lutte (intégration à une culture pratique militante) et le fait « d’avoir pris conscience d’avoir appris des choses » qui lui a redonné confiance et que cette confiance lui a permis de se lancer dans une activité pour laquelle elle avait une appétence (un goût, un désir), mais qui était restée jusqu’alors sans débouché, par peur de mal faire et d’être, pour cela, jugée négativement – situation dont son conjoint lui rappelle, sans ambages, l’éventualité. 

Si Facebook lui offre, de fait, une surface d’inscription lui permettant notamment le déploiement d’une expression publique, la possibilité technique n’a été actualisée qu’à la faveur d’un réarmement subjectif préalable, lié en une confiance dans la communauté mobilisée : « La façon dont le processus de construction de l’espace social est vécu au sein de la communauté par les membres semble constituer une condition de participation et d’apprentissage pour ceux-ci » (Audran & Daele, 2009 : 3). Le travail de production identitaire (et de construction des opinions) transite la plupart du temps par une activation répétée du réseau relationnel. Il semble, ici, également pris en charge par une réflexion de soi dans le miroir (déformant ?) des réseaux sociaux numériques, laquelle permet de se dégager partiellement des représentations imposées par d’autres. Si la ratification d’un soi déposé dans des contenus symboliques est d’autant plus forte et appréciée qu’elle s’avère produite par des tiers – et tout particulièrement par celles ou ceux qui se révèlent actifs dans le combat mené –, la confirmation de soi par soi semble vouloir prendre une place inédite dans la construction identitaire. Il faut ici comprendre qu’elle ne relève pas d’un strict procédé spéculaire – fondé sur l’observation d’un reflet qui serait en tout point identique au modèle –, mais de la reconnaissance par/de soi d’une personnalité révélée dans et parun espace de lutte avec lequel est en quelque sorte négocié un sens à son engagement, mais aussi à un vécu singulier qui, quand il se voit ratifié et reconnu par la communauté s’accompagne de nouvelles dispositions positives (Lave & Wenger, 1991).

Par ailleurs, les propos tenus en ligne au sein et aux entours des groupes Facebook GJ observés sont particulièrement variés et, à l’évidence, ne répondent à aucune ligne éditoriale. Chacun d’eux est un élément d’une grande compilation qui, parfois, tente d’être un tant soit peu ordonnée, les posts pouvant être classés dans des catégories qui, par ailleurs, ne sont pas sans se chevaucher. Cette profusion peu hiérarchisée où se révèle une incroyable diversité de contenus qui ne sont ni préalablement triés ni véritablement ordonnés, fait penser aux premiers temps d’Indymedia et de l’open publishing qui, certes, sont fondés sur une critique des médias dominants, mais ont surtout cherché à mettre l’informatique connectée directement au service des mobilisations dans un souci de transparence et de libération de la prise de parole. Les initiateurs des groupes GJ se refusent généralement à exercer un contrôle éditorial trop serré. Les contenus complotistes ne sont, par exemple, pas nécessairement retirés, mais ignorés ou mis sur la sellette via des commentaires dont les effets patents semblent d’ailleurs moins tenir à de minutieux contre-argumentaires qu’à l’emploi d’un ton spécifique qui tend à ironiser ou à tourner au ridicule. L’un des animateurs d’un groupe très suivi explique : 

« Sur les posts chelous mais qui n’y vont pas franchement, quand ils essaient de la jouer malin, j’ai une technique qui marche assez bien où je les interpelle l’air de rien : ‘‘qu’est-ce que tu entends par là ? Qu’est-ce que ça veut dire exactement ? Pourquoi tu dis ça comme ça ?’’. En général, y a même pas de discussion, ils s’écrasent tout de suite pour pas se faire griller et être taxés de malhonnêtes, de mecs qui avancent masqués, parce que ça, c’est mal vu. Du coup, c’est bien de tout laisser, notamment pour identifier le zozo qui déconne et qui pourrait être tenté d’en remettre une couche ». 

Cette forme de laisser-faire répond à la volonté de ne pas brider ex ante les expressions de tout un chacun (pas de censure), mais il relève également d’un dessein d’éducation populaire consistant à donner à tous les moyens de se construire un avis autonome et de prendre leur part à l’action. Aussi, les voix des Gilets jaunes nous semblent devoir s’entendre, en certaines de leurs énonciations, comme des paroles de désassignation qui pourraient commencer par « Nous ne sommes pas que… ». Aurélie l’exprime clairement quand elle affirme que la mise en publicité de ses pensées et de ses « impressions de ronds-points » lui ont permis d’exprimer ce qu’elle était vraiment – « au fond de moi-même » – et de surprendre certaines de ses connaissances : « ’’On ne savait pas que tu pouvais être comme ça !’’ Ça m’a fait du bien de l’entendre, mais en même temps ça m’a vexée de voir qu’ils m’imaginaient pas capable. Ça m’a fait penser que moi aussi, j’avais des opinions sur les gens qu’étaient peut-être pas justes ». 

En guise de conclusion : vers un « expressivisme véridique » ?

Le processus d’autoformation à la critique des médias dont nous venons de repérer quelques-uns des aspects est indexé à une mobilisation sociale. Il répond, en cela, aux caractéristiques d’un apprentissage situé, cadré par une conflictualité qui donne en quelque sorte le « la » quant à ce qu’il s’agit éventuellement d’apprendre et à la manière dont il est possible, dans l’action (i.e. profitant et au profit de celle-ci), de l’apprendre concrètement (Lave & Wenger, 1991). L’intérêt des Gilets jaunes à recomposer leurs pratiques d’analyse et de consommation de la production médiatique est une attention articulée à une cause plus ample qui entend instaurer davantage de justice sociale. Cette vaste revendication visant à rénover les existences populaires participe par la mobilisation même à la (re)construction des individus. Et quand cet effort rencontre la question des représentations médiatiques, il semble évident que la question de production de soi restât essentielle. Réflexion et réflexivité autoformatives se mêlent dans de nouvelles expériences techno-affectivo-agonistiquesqui tendent alors à réorganiser les rapports aux savoirs et à soi. 

Par là même, les dispositifs GJ de publication en ligne font, volens nolens, exister un modèle de communication plus démocratique. Cette production médiatique alternative dit notamment la nécessité de faire émerger des dispositifs inédits généralisant la capacité des personnes engagées dans la mobilisation à accéder aux ressources de symbolisation et de représentation du monde social. L’objectif est donc d’organiser une « déconfiscation » de la parole, de multiplier le nombre d’émetteurs, de faire proliférer les foyers de réception et d’abonder les expressions citoyennes autonomes(Granjon, 2014) tirant leurs qualités (libération cognitive, conscientisation, incitation à l’action) de leur enracinement dans les vécus et les expériences, au plus près des singularités existentielles. De cette gageure émancipatrice nous semble également se dégager la nécessité de participer à l’invention (presque au sens musical du terme : une polyphonie aux effets nouveaux) d’un cadre alternatif de représentation – que l’on pourrait appeler un « expressivisme véridique » – et établissant un régime de discours hybride, à la fois narratif et sur preuve[18] (Lyotard, 1979) dont les principales caractéristiques seraient: a) une production faisant une place importante à l’enquête et plus encore, au reportage fouillé montrant un attachement aux faits ; b) une factualité qui entend porter un régime de véridicité qui ne relève pas du dogme objectiviste-neutraliste, mais entend donner à lire et à voir des points de vue subjectifs étayés par des faits concrets ; c) des contenus symboliques engagés, prenant parti et portant des valeurs manifestes (non dissimulées, revendiquées, objectivées), rendant possible une montée en généralité et la réinscription des récits dans des enjeux plus vastes ; d) des texts (écrits, sons, vidéos) qui ne se contentent pas de créer la polémique pour chercher la viralité, mais sont porteurs de sens, plus que de buzz. Si cette hypothèse venait à se confirmer, ce serait peut-être, là, le signe de l’émergence d’une contre-culture populaire « véritable » qui, comme le suggérait Pierre Bourdieu, pourrait fournir d’utiles « armes de défense contre la domination symbolique » (1984 : 13). Ce contre-modèle serait empreint des exigences d’un travail rigoureux d’enquête critique (exactitude, distanciation, temps long de l’investigation, rupture avec les formats courts et les formules, etc.), mais celles-ci auraient néanmoins à se coupler aux nécessités d’un pragmatisme existentiel (mise en valeur des subjectivités, diversité des points de vue, intégration du « public » dans les préoccupations du rédacteur, etc.) réfutant la coupure entre « penser » et « agir », entre « faire » et « exprimer ». 

Les collectifs mobilisés dans un cadre de critique sociale sont, à l’évidence, les communautés d’action les plus à même de construire ces compétences et dispositions propices à un agir critique renouvelé, lequel relève moins d’un processus d’intériorisation de « connaissances militantes » que d’une participation cognitive, affective et conative à la construction d’un commun épistémopolitique. Au surplus, il appert de cette enquête sur les Gilets jaunes que les dispositifs numériques, loin de composer un environnement technique déréalisant et hypothéquant les engagements, permettent a contrario une stimulation de la participation et des modes d’(auto-)apprentissage qui lui sont liés, servant autant la cause collective que des formes de subjectivation individuelles.

Bibliographie

Acrimed (2021). Les médias contre la rue. Vingt-cinq ans de démobilisation sociale. Paris : Éditions Adespote.

Agrikoliansky, É. Aldrin, P. (2019). Faire avec la politique. Novices, amateurs et intermittents en politique. Politix, 32(128), 9-29.

Audran, J. Daele, A. (2009). La socialisation des enseignants au sein des communautés virtuelles : contribution à une compréhension du rapport à la communauté. Revue de l’Éducation à Distance, 23(1), 1-18. 

Bandura A. (1987). L’apprentissage social. Paris : Mardaga.

Bourdieu, P. (1984). Questions de sociologie. Paris : Éditions de Minuit. 

Bouté, É. & Mabi, C. (2020). Des images en débat : de la blessure de Geneviève Legay à la répression des Gilets Jaunes. Études de communication, 54, 29-51. http://journals.openedition.org/edc/9996.

Brougère, G., Bézille, H. (2007). De l’usage de la notion d’informel dans le champ de l’éducation. Revue française de pédagogie, 158, 117-160

Burstin 2013).

Cardon, D. Granjon, F. (2013). Médiactivistes. Paris : Presses de Sciences Po.

Carré, P. Moisan, A. & Poisson, D. (2010). L’autoformation. Perspectives de recherche. Paris : PUF.

Collectif d’enquête sur les Gilets jaunes – CEGJ (2019). Enquêter in situ par questionnaire sur une mobilisation. Une étude sur les Gilets jaunes. Revue française de science politique, 69(5), 869-892.

Denouël, J. et al. (2014). Médias numériques & participation. Entre engagement citoyen et production de soi, Paris : Mare & Martin.

Eneau, J. (2019). Quelles perspectives pour l’autoformation ?. Éducation Permanente, 220-221, 89-98.

Eraly, A. (2019). Une démocratie sans autorité ?. Toulouse : Érès.

Ertzscheid, o. (2019). De l’algorithme des pauvres gens à l’Internet des familles modestes. In Confavreux, J. (coord.). Le fond de l’air est jaune. Comprendre une révolte inédite. Paris : Seuil, 135-146.

Gitlin, T. (1980). The Whole World is Watching: Mass Media in the Making and Unmaking of the New Left.‎ Berkeley : University of California Press.

Granjon, F. (2001), L’Internet militant. Mouvement social et usages des réseaux télématiques. Rennes, Apogée.

Granjon, F. (2014). Mobilisations informationnelles et expressions citoyennes autonomes à l’ère du « participatif ». InDenouël, J. et al. Médias numériques & participation. Entre engagement citoyen et production de soi, Paris : Mare & Martin, 21-63.

Granjon, F. (avec la collaboration de V. Papa & G. Tuncel) (2017). Mobilisations numériques. Politiques du conflit et technologies médiatiques. Paris : Presses des Mines.

Granjon, F. (2022). Classes populaires et usages de l’informatique connectée. Des inégalités sociales-numériques. Paris : Presses des Mines.

Granjon, F. Denouël, J. (2010). Exposition de soi et reconnaissance de singularités subjectives sur les sites de réseaux sociaux. Sociologie, 1(1), 25-43.

Gunthert, A. (2020). L’image virale comme preuve. Les vidéos des violences policières dans la crise des Gilets jaunes. Communications, 1(106), 187‑207.

Gurri, M. (2018). The Revolt of the Public and the Crisis of Authority in the New Millennium. New York : Stripe Press.

Heutte, J. (2019). Les fondements de l’éducation positive. Perspective psychosociale et systémique de l’apprentissage.Paris : Dunod.

Katz, E. (1957). The two-step flow of communication: An up-to-date report on an hypothesis. Public Opinion Quarterly, 21(1), 61-78.

Knowles, M. S (1975). Self-directed Learning: A Guide for Learners and Teachers. Malcolm: Cambridge Adult Education, editor.

Las Vergnas, O. (2017). La participation à des communautés en ligne, une e-Formation non intentionnelle peu étudiée. InJézégou, A. (dir.). Traité de la e-Formation des adultes. Bruxelles : De Boeck, 165-187.

Lave, J. (1990). The culture of acquisition and the practice of understanding. In Stigler, J. W. et al. (eds). Cultural psychology: Essays on comparative human development. Cambridge : Cambridge University Press, 309-327.

Lave, J. (1991). Situating learning in communities of practice. In Resnick, L. B. et al. (eds). Perspectives on socially shared cognition. Washington : American Psychological Association, 63-82.

Lave, J. & Wenger E. (1991). Situated Learning: Legitimate Peripheral Participation. Cambridge : Cambridge University Press.

Le Bart, C. (2020). Petite sociologie des Gilets jaunes. La contestation en mode post-institutionnel. Rennes : PUR.

Lyotard, J.-F. (1979). La condition postmoderne. Paris : Éditions de Minuit.

Matonti, F. & Poupeau F. (2004). La capital militant. Essai de définition. Actes de la recherche en sciences sociales, 155, 4-11.

Mauger, G. (2013). De « l’homme de marbre » au « beauf ». Les sociologues et « la cause des classes populaires ». Savoir/Agir, 26, 11-16.

Moualek, J. (2022). L’image disqualifiante de la “violence populaire” en démocratie. Le cas des Gilets jaunes et de leurs “clichés”, Socio. La nouvelle revue des sciences sociales,  16, 139‑158.

Nagels, M. & Carré, P. (2016). Apprendre par soi-même aujourd’hui : les nouvelles modalités de l’autoformation dans la société digitale. Paris : Éditions des archives contemporaines.

Patel, C. (2017). Jean Lave and Etienne Wenger’s Situated Learning: Legitimate Peripheral Participation. Londres/New York : Macat/Routledge.

Perret-Clermont, A. N. (1996). La construction de l’intelligence dans l’interaction sociale. Berne : Peter Lang.

Pineau G. (2007). L’éro-formation en deux temps, trois mouvements. Connexions, 87, 129-149.

Pineau, G. (2009). Autoformation. In Boutinet J.-P. L’ABC de la VAE. Toulouse : Érès, 84-86.

Saint-Arnaud, J. Y. (2001), La réflexion-dans-l’action : un changement de paradigme. Recherche & Formation, 36, 17-27.

Schön, D. A. (1997). Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Montréal : Les Éditions Logiques.

Siroux, J.-L. (2020). Qu’ils se servent de leurs armes. Le traitement médiatique des Gilets jaunes. Vulaines-sur-Seine : Éditions du Croquant.

Stephan, G. (2020), La réinformation par l’archive (2003-2013). Doctrine et constitution d’un réseau médiactiviste). Le Temps des médias, 35, 72-86.

Schugurensky, D. (2007), Les jeux du formel et de l’informel « Vingt mille lieues sous les mers » : les quatre défis de l’apprentissage informel. Revue française de pédagogie, 160, 13-27.

Traïni, C. (2021). Entre pratiques intimes et sphère publique. Comment les engagements militants affectent la vie quotidienne ?. Sociétés contemporaines, 3(123), 135-162.

Traïni, C. Siméant, J. (2009). Introduction. Pourquoi et comment sensibiliser à la cause ?. In Traïni, C. (dir.). Émotions… Mobilisation !. Paris : Presses de Sciences Po, 11-34.

Turban, J.-M. (2005). Liste de diffusion pour enseignants du premier degré. Une expérience sociale, formative et originale dans le cyberespace. Distances et savoirs, 3(3), 331-355.


[1] D’autres dispositifs ont toutefois été mobilisés, comme Twitter, WhatsApp, Signal ou encore Telegram. Néanmoins Facebook est apparu comme la plateforme « d’évidence » des Gilets jaunes, notamment parce que son usage était plus répandue au sein des classes populaires avant même le début du mouvement.

[2] Les entretiens que nous avons menés avec les Gilets jaunes ont notamment été conduits durant les manifestations ou en marge de celles-ci. Nous les avons complétés avec des entretiens plus « classiques », fin 2020 et début 2021, durant une période où le mouvement a été largement freiné par la pandémie due à la Covid-19. L’enquête ainsi menée n’a aucune prétention à la représentativité et se contente de mettre en lumière certains phénomènes saillants.

[3] Nous parlerons de « critique des médias » et non d’« éducation aux médias », ce dernier syntagme étant plutôt réservé à des procès d’éducation formelle. Par ailleurs, La notion d’autoformation est ici considérée comme « une pratique sociale dans laquelle (l’apprenant) exerce un degré de maîtrise dans et sur son propre apprentissage et sa formation : son choix, sa conduite, son évaluation, quel que soit le contexte où elle se déploie, à visée formative (éducation formelle et non formelle) ou en cours d’activités (éducation informelle) » (Carré et al., 2010).

[4] Il ne s’agit pas de considérer que le processus décrit dans ces pages est un phénomène d’ensemble, valable pour tous les Gilets jaunes. Il est toutefois un phénomène qui concerne nombre d’entre eux.

[5] Au sein des médias, mais la question de la représentation et du porte-parolat a également été un point de tension permanent au sein du mouvement qui a toujours souhaité contrôlé qui pouvait parler en son nom et s’est montré particulièrement vigilant quant à la certification médiatique de ses porte-parole (Gitlin, 1980).

[6] Le collectif militant représente bien un continuum de communautés, à la fois d’intérêt (dissémination des informations utiles), de pratiques(organisation la mobilisation et la solidarité GJ), de projet (production des actions utiles) et épistémiques (production des analyses, des connaissances (Heutte, 2019).

[7] « Conversationnels » car l’une des caractéristiques des contenus en ligne est qu’ils sont visibilisés dans des espaces numériques qui sont également des lieux « habités » par des individus et configurés par des scripts qui invitent à l’interaction. Les textes, les images, les sons sont inscrits dans des matérialités qui leur sont propres, mais ils sont aussi pris dans les rets d’une sociabilité qui tend à en faire des supports à conversation, débats, polémiques, etc.

[8] Journalistes animant chacun une émission sur CNews.

[9] Cf., par exemple, le Fonds pour une presse libre, à l’initiative de Mediapart : https://fondspresselibre.org/qui-sommes-nous.

[10] Citons, par exemple, Vécu, Taranis NewsLà-bas si j’y suisLe MédiaRévolution permanente, Paris-luttes.info, Nantes révoltésCerveaux non disponibles, Alternative International Movement. À côté des médias alternatifs « de gauche », qui se sont notamment spécialisés sur les mobilisations sociales, il faut également citer les médias dits de « réinformation » qui se présentent, eux aussi, comme indépendants et citoyens, tout en étant proches des milieux complotistes, voire d’extrême droite : La vraie démocratieL’info en questionS, Russia TodaySputnik France, France soir, etc. (Stephan, 2020).

[11] Il faut noter que le champ des médias indépendants n’est pas une nouveauté pour tous les Gilets jaunes, tant s’en faut. Les plus politisés d’entre eux ont souvent une connaissance préalable du domaine de la production alternative d’information. 

[12] Référence au livre/film Le Seigneur des anneaux.

[13] L’autodirection « modifie les conduites et les attitudes de l’individu, suite à l’acquisition de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences. […] [Elle] est en soi aussi un résultat : le renforcement de la capacité d’agir » (Nagels, Carré, 2016 : 66). L’autodirection appelle des capacités telles que « l’initiative, avec ou sans l’aide d’autrui, de diagnostiquer [ses] besoins d’apprentissage, de formuler des objectifs, d’identifier les ressources d’apprentissage, de sélectionner et mettre en œuvre des stratégies d’apprentissage, et d’évaluer les résultats » (Knowles, 1975 : 18).

[14] Une bulle de filtres (Eli Pariser) est une forme de filtrage/sélection algorithmique des contenus en ligne qui tend à proposer aux internautes (sur la base de leurs comportements en ligne) toujours le même type d’information personnalisée, les isolant ainsi dans une bulle informationnelle allant à l’encontre d’une pluralité des points de vue.

[15] Il serait, ici, aisé de considérer ce fait comme une illustration du biais cognitif dit « Dunning-Kruger », conduisant des individus objectivement sous-dotés en certaines compétences à surestimer leurs capacités et, a contrario, voir les plus aptes ne pas mobiliser leurs compétences effectives (sous-évaluant leur niveau de maîtrise). Nous ne retenons toutefois pas cette explication qui mécanise, sous un angle psychologisant, ce qui, sociologiquement, reste à expliquer en chaque situation.

[16] « L’apprentissage par participation périphérique légitime dépend des opportunités offertes aux nouveaux arrivants [d’une communauté] d’apprendre par la pratique, plutôt que d’apprendre par la supervision d’un instructeur ou d’un maître [notre traduction] » (Patel, 2017 : 32).

[17] Pour Martin Gurri (2018), les citoyens populaires accordent davantage de crédit aux personnes qui leur ressemblent dans l’expression de leur colère, qu’aux experts spécialistes du sujet sur lequel porte cette colère.

[18] Les travaux de Clément Mabi et d’Édouard Bouté sur les images médiatisant la blessure de la Gilet jaune Geneviève Legay tendraient à apporter quelque consistance à l’existence de ces pratiques d’hybridité.